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de Margate ou de Brighton. Dégoûté, il s’écria qu’il n’avait jamais rencontré, chez les Cannibales, une tribu aussi désagréable à vivre que les électeurs de North-Lambeth. Mrs Stanley s’est levée pour le couvrir, sublime d’héroïsme conjugal : « Électeurs de Lambeth, il y a deux ans, j’ai voté pour Henry Stanley et je ne m’en repens pas. Imitez-moi. C’est le plus grand homme de l’Angleterre, le plus grand homme de ce temps et peut-être de tous les temps. Électeurs de Lambeth, si vous le repoussez, vous vous couvrirez d’infamie. » On l’applaudit aussi fort qu’on avait hué son mari, mais il y avait de l’ironie ou quelque pitié dans ces applaudissemens, car, au jour du vote, les électeurs de Lambeth n’ont pas hésité à « se couvrir d’infamie. »

Autre épisode électoral dont une femme est l’héroïne. La duchesse d’Abercorn réside au château de Baronscourt, en Irlande, pendant la campagne électorale. Son frère est candidat unioniste dans la circonscription où se trouve Baronscourt. Deux heures avant la fermeture du scrutin, l’agent s’avise qu’on a oublié deux électeurs, malades, et qui demeurent au loin ; comment les amener ? Plus une voiture dans les remises, plus un cheval dans les écuries du château. Depuis les landaus de sa seigneurie jusqu’au dernier cart, tout a été utilisé. Pourtant, il y a le coche de cérémonie, lourde et fastueuse machine dorée dans laquelle lord Abercorn a fait son entrée officielle à Dublin comme lord-lieutenant. Et voici deux bons gros chevaux qui labourent dans un champ voisin. La duchesse commande qu’on les attelle au carrosse vice-royal : — « Mais, madame, il n’y a plus de harnais. » — « Plus de harnais ! Et ceux-ci ? » — La duchesse désigne des harnais historiques, harnais d’argent, s’il vous plaît ! qui sont suspendus dans la galerie. On les décroche, on attelle : — « Mais, madame, il n’y a plus de cocher ! » — « Plus de cocher ! Le duc conduira. » — « Mais, madame, la loi défend aux pairs…» — « Elle ne défend rien aux femmes des pairs. » — Elle monte prestement sur le siège, fait claquer son fouet et part dans un nuage de poussière. Elle conduit triomphalement au scrutin les deux invalides, et son frère est député.

Bref, tout le monde se mêle des élections, sauf, peut-être, les membres de l’Église établie. Cette église est bien malade : il n’y a pas de coche vice-royal qui puisse la conduire à un vote de victoire. Elle se réfugie dans le silence, se blottit dans l’abstention, sachant que ses jours sont comptés. Au début de la période électorale, une réunion d’ecclésiastiques avait lieu à l’archevêché dans la bibliothèque de Lambeth. Quelqu’un proposa une résolution à l’effet de combattre les candidats « immoraux. » Résolution honnête, vague, et, à ce qu’il semble, sans danger. Sans dire pourquoi, l’archevêque et les principaux dignitaires de l’Église sortirent