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chef nominal M. Justin Mac-Carthy. Également distingué comme journaliste, comme historien et comme romancier, il est capable de parler et de bien parler dans une assemblée politique, mais n’a ni les qualités ni les défauts nécessaires pour se faire obéir. Qui donc va inspirer le parti nationaliste ? Sera-ce M. Dillon ? M. O’Brien ? Quelle que soit leur manière de voir présente, ils sont quelque peu compromis par les excès du Plan de campagne. Sera-ce M. Timothée Healy ? Personne ne conteste sa valeur intellectuelle, mais sa conduite envers Parnell et envers sa veuve a refroidi les honnêtes gens à l’égard de M. Healy. Sera-ce Michel Davitt ? Celui-là, du moins, est un esprit large, une âme généreuse ; il a su s’élever au-dessus de ses ressentimens d’ancien prisonnier politique, au-dessus de l’exclusivisme irlandais qui absorbe et paralyse les facultés de ses collègues. Pour lui, il y a dans le monde d’autres questions à résoudre, d’autres besoins à satisfaire, d’autres plaies à guérir que la question du home-rule, le besoin d’un parlement à Collège-Green, la plaie du landlordisme et de l’absentéisme. Auprès de Davitt paraît un homme nouveau dont on attend beaucoup, M. Blake, un Irlandais-Canadien qui a joué un rôle politique important dans son pays d’adoption. Libéral convaincu, rompu aux habitudes et à la tactique du parlementarisme colonial, son expérience sera utile en ce qui touche la genèse constitutionnelle du futur parlement de Dublin. Étranger aux luttes de ces dernières années, il saura peut-être réconcilier les factions rivales en même temps qu’il pourrait servir de lien entre l’Irlande et le grand parti anglais qui a entrepris son émancipation. C’est là un rôle double et difficile. Nul ne peut dire encore si M. Blake saura le remplir.

Abstraction faite des Irlandais, 275 libéraux suivent M. Gladstone. Les radicaux en forment l’élément le plus agissant, sinon le plus nombreux. Il y a les radicaux purement politiques selon la formule de M. Labouchère ; les partisans de la tempérance qui, depuis vingt ans, ont eu pour chef sir Wilfrid Lawson ; la démocratie londonienne, ceux qu’on appelle dédaigneusement les hommes du gaz et de l’eau, gas and water men. Ce sont ceux qui réclament l’autonomie complète de la grande ville et qui, sur les réformes sociales, joignent volontiers leurs voix à celle du parti ouvrier. Ce parti ouvrier compte une quinzaine de membres ; neuf d’entre eux ont manié l’outil. Parmi ce petit nombre, une étonnante diversité d’opinions et de caractères. Les uns, favorables au bill des huit heures, les autres ennemis jurés de ce même bill ; l’ancienne et la nouvelle école des trades-unions ; les métiers intelligens et les métiers de la force ; le pur libéral et l’ardent socialiste ; le démagogue haineux et rageur, dont l’éloquence vient du foie (jecur