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pure et simple, conseillée par M. Labouchère, l’histoire, hélas ! répond, si on veut bien se donner la peine de la consulter, que l’Angleterre n’évacue jamais.

Est-ce à dire qu’il faut laisser au temps le soin de régler la question d’Égypte ? Je sais de bons esprits qui souhaitent la prolongation du statu quo, parce que, s’il tient les droits de la France en suspens, du moins il les réserve et les laisse intacts. J’en sais d’autres, également bons, qui croient, au contraire, que chaque heure perdue nous avance vers une sorte de prescription, et transforme lentement, toujours par la vertu irrésistible de l’évolution, l’occupation anglaise en protectorat et le protectorat en annexion. Dans ce cas, il faudrait viser à quelque arrangement raisonnable qui ménagerait, dans une juste proportion, les intérêts, les droits, les amours-propres.

Sous le dernier gouvernement on nous disait : «Certainement l’Angleterre évacuera l’Égypte ; elle l’évacuera aussitôt qu’elle aura fait sur les bords du Nil ce qu’elle est allée y faire. » Or l’Angleterre ne faisait rien en Égypte. Prier poliment les gens d’attendre la fin d’une œuvre qui n’était ni définie ni commencée, et qu’on ne songeait même pas à entreprendre, c’était là une de ces impertinences qui marquaient tous les actes de lord Salisbury et qui semblaient très savoureuses à ses compatriotes quand elles s’adressaient à des étrangers. On a le droit d’espérer que, du moins, M. Gladstone ne se moquera pas de nous. Impossible avec son prédécesseur, l’arrangement dont je parlais deviendra possible avec le nouveau chef du cabinet, dès que l’Irlande et le labour party le laisseront respirer.

En tout cas, M. Gladstone ne permettra pas que l’on crée une autre Égypte au Maroc ; il réprimera le zèle des missionnaires et des compagnies anglaises qui font trop parler d’elles en Afrique. Sa politique en Bulgarie sera sensiblement différente de celle qu’a suivie lord Salisbury. Entre les deux groupes qui se partagent l’Europe, le nouveau gouvernement anglais prendra forcément position un peu moins près de la triple alliance, un peu moins loin de l’entente franco-russe. L’intérêt de l’Angleterre consiste à s’incliner légèrement, sans se donner, tantôt vers les uns, tantôt vers les autres, et il semble que ce soit notre tour de contempler le côté éclairé et souriant de la neutralité britannique. Ainsi la joie de Berlin pourrait avoir tort comme les méfiances de Paris.

Il y a une certaine politique qui consiste à profiter des embarras d’autrui et à se servir soi-même pendant que les gens ont le dos tourné et les mains pleines. Cela n’est pas très beau