Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les communes qui réclameront, comme Provins, comme Verneuil, comme, dit-on, aussi Châtillon-sur-Seine, qui a pris les devans. Il y a l’irrigation, il y a les industries, assises séculairement sur les bords des ruisseaux, et qui protestent avant de se voir enlever la force motrice ou l’eau nécessaire à leurs opérations. On ne peut s’empêcher de reconnaître que c’est d’une main toujours bien discrète qu’il faut toucher à tous ces intérêts respectables, à tous ces élémens du travail utile et fécond qui, depuis si longtemps, nourrit la population de toutes ces petites vallées laborieuses.

Quelque considérables cependant que puissent être les dommages causés par le détournement des sources, la loi, le croirait-on, retire aux intéressés tout droit à réclamation. De l’article 641 du code civil, interprété par la jurisprudence de la façon la plus exacte, peut-être, mais aussi la plus rigoureuse, il résulte que les sources sont l’accessoire du fond où elles jaillissent. En vertu du principe que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, le propriétaire du fond peut en faire tel usage qu’il juge convenable, les retenir, en changer le cours, sans que le propriétaire qui recevait ces eaux à la sortie du premier héritage, quelque préjudice qu’il éprouve du changement, y puisse faire opposition ni même réclamer une indemnité.

C’est bien net, et c’est peut-être pousser loin le respect de la propriété. Partant de là, quelques villes, — et de fort importantes, — Dijon, la première, — devenues propriétaires de sources, non pas même par voie amiable, mais en vertu d’une expropriation pour cause d’utilité publique, n’ont consenti, au moment où elles les captaient pour leur usage, ni indemnité ni dédommagement quelconque aux usiniers dont elles ruinaient l’industrie, aux agriculteurs dont elles stérilisaient les prés. C’est la loi.

Il ne convient, certes, pas de dire avec je ne sais plus quel membre de nos assemblées législatives : « Je ne suis pas juriste et je m’en félicite : il m’est plus facile d’être juste. » Mais il est I néanmoins permis de trouver que dans le cas actuel summun jus est bien près de summa injuria. En présence du développement et de l’organisation de l’industrie et de l’agriculture d’aujourd’hui, une semblable disposition légale, supportable peut-être il y a cent ans, appelle une prompte réforme.

La ville de Paris, il faut le dire à l’honneur de ceux qui ont administré ses affaires, — n’a jamais entendu se prévaloir de cette jurisprudence léonine. La Dhuis lui a coûté un demi-million en indemnités gracieuses ou en rachat d’usines, dont l’existence paraissait plus ou moins compromise par la diminution de débit du cours d’eau. Quand il s’est agi de la Vanne, la ville, sans mar-