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retraite est ce qui me convient le mieux. » — « Adieu, général La Fayette, reprit-il avec un dépit concentré, fort aise d’avoir passé ce temps avec vous. » La Fayette, en lui disant adieu, le remerciait de l’intérêt qu’il avait pris à la radiation d’une personne qui l’intéressait. Bonaparte saisit ce mot pour reprendre la conversation : « Permettez-moi, lui dit La Fayette, de reparler d’un point sur lequel je ne veux pas vous laisser d’injustes impressions ; j’ai besoin de vous répéter que, d’après les circonstances de ma vie orageuse, vous devez trouver naturel et convenable que je vive en simple citoyen, au sein de ma famille. Déjà même je vous aurais demandé ma retraite militaire, si je ne voulais pas que tous mes compagnons aient passé avant moi. » — « Votre retraite militaire aussi, répondit-il ; mais, si vous y êtes décidé, il ne faut pas que la considération de vos compagnons vous arrête. Parlez à Berthier pour qu’il presse votre demande. »

L’affaire fut terminée aussitôt, et La Fayette eut la pension de retraite maxima de son grade.

Au moment du traité d’Amiens (27 mars 1802), ses discussions avec le premier consul devinrent plus vives. La Fayette avait fait une visite à lord Cornwallis, de passage à Paris, et il avait été invité avec lui chez Joseph Bonaparte. Le premier consul dit en ricanant à La Fayette, la première fois qu’il le revit : « Je vous préviens que lord Cornwallis prétend que vous n’êtes pas corrigé.» — « De quoi ? reprit La Fayette assez vivement. Est-ce d’aimer la liberté ? Qui m’en aurait dégoûté ? Les extravagances et les crimes de la tyrannie terroriste ? Je n’ai pu qu’en haïr davantage tout régime arbitraire et m’attacher de plus en plus à mes principes. » — « Voilà pourtant, continua Bonaparte, ce que prétend lord Cornwallis ; vous lui avez parlé de nos affaires, et voilà ce qu’il dit. » — « Je ne me rappelle rien ; personne n’est plus loin que moi d’aller chercher un ambassadeur anglais pour dénigrer ce qui se passe dans mon pays ; mais s’il m’a demandé si j’appelais cela de la liberté, je lui aurais dit non, quoique plutôt à tout autre qu’à lui. » Bonaparte reprit d’un air sérieux : « Je dois vous dire, général La Fayette, que je vois avec peine que par votre manière de vous exprimer sur les actes du gouvernement, vous donnez à ses ennemis le poids de votre nom. » — « Que puis-je faire de mieux ? répondit La Fayette, j’habite la campagne, je vis dans la retraite, j’évite les occasions de parler ; mais toutes les fois qu’on viendra me demander si votre régime est conforme à mes idées de liberté, je répondrai que non ; car enfin, général, je veux bien être prudent, mais je ne veux pas être renégat. » — « Qu’entendez-vous, répliqua-t-il, avec votre régime arbitraire ? Le vôtre ne l’était pas, j’en conviens ; mais vous aviez contre vos adversaires la ressource