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manteau de l’âtre, de pouvoir le soir même, à quelques portées de fusil au-delà de Vals, respirer de nouveau les vapeurs dorées et les chaudes émanations de la terre provençale.

Car c’est bien la Provence, qui nous appelle là-bas, au sud. En arrivant sous Aubenas, l’Ardèche s’étale enfin dans une large vallée. La petite ville, pelotonnée autour de son vieux château, découpe son élégante silhouette au sommet d’une colline ; sentinelle placée là pour garder les défilés des montagnes, elle se dresse, inquiète, au-dessus de sa ceinture de jardins. La rivière s’enroule à ses pieds, saignée par les prises d’eau des magnaneries et des moulinages. La position d’Aubenas, au centre de ce paysage gracieux au premier plan, grandiose à l’horizon, semble choisie par le plus habile peintre de panoramas ; et sa banlieue offre un contraste piquant, l’abondance des eaux entre les vignobles, les mûriers ; la fraîcheur et l’animation des vergers normands dans la végétation méridionale, habituellement si morne, si sèche. Cette oasis prend vite fin. L’Ardèche rencontre devant elle des chaînes de hauteurs qu’elle traverse ou contourne par d’étroites brèches. Des montagnes continuent d’enclore son bassin, le séparant du Rhône et des plaines du Gard ; mais elles n’ont plus rien de commun avec celles d’où nous sortons ; aussi nues que les autres étaient boisées, ces longues croupes baignées de lumière rappellent au regard, par la finesse de leurs lignes et l’éclat de leurs couleurs, les encadremens des vallées grecques ou italiennes. Le calcaire a succédé brusquement au granit. Le sol aride, caillouteux, prend une teinte rouge sous les lentisques et les oliviers ; la rivière coule entre des murailles blanches, taillées à pic, divisées en assises régulières par des stries longitudinales ; le chêne vert s’agrippe aux corniches et couronne les entablemens ; les villages plaqués contre ces parois se confondent avec elles dans la même tonalité d’un gris éblouissant. Voilà bien les aspects essentiels de notre Midi, la subordination de tous les élémens du paysage à la pierre, la blancheur diffuse de cette pierre polie par les eaux, la végétation rabougrie et luisante sur un pulvérin d’ocre rouge.

C’est à Balazuc, sur les bords de la faille profonde où serpente l’Ardèche, que cette nature acquiert toute son intensité. Partout la roche ; la terre, réduite au minimum, disparaît dans les champs sous de larges tables calcaires ; quelques arbustes, quelques sarmens de vigne se tordent désespérément dans les cassures de ces dalles. Sol indigent et noble, terre arabe, toute d’os et de muscles, il sans chair. Mon voiturier me le disait très bien : — « Ah ! monsieur, la terre est si nerveuse, ici… » — Le village lui-même a une fière mine africaine, avec ses rues voûtées, ses petites maisons en