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Cabinet Vert, avec bureau de grâces et de promotions et agence de contre-police, dirigée par Monciel et La Maisonfort. Quand le comte d’Artois allait chez le roi, c’était pour l’accabler de conseils, d’objurgations et de reproches « fort peu respectueux, » dit Blacas. Il le tourmentait pour les moindres choses. Des aigles et autres attributs impériaux étaient restés à l’intérieur des Tuileries. Monsieur s’en offusquait et pressait le roi avec aigreur de les faire disparaître. Un beau jour, Louis XVIII impatienté lui répondit : « — Si vous insistez davantage, je mets son buste sur ma cheminée. » Le 4 juin, le comte d’Artois avait feint ou exagéré une indisposition pour ne point paraître à la séance royale où l’on devait promulguer la charte. Cette charte détestée, abominable pacte entre la monarchie et la révolution, il affectait dans ses discours de n’en jamais parler. Si encore il ne se fût compromis devant les Français que par cette omission ! Mais il lui échappait sans cesse des paroles imprudentes, promesses grosses d’alarmes et menaces à peine déguisées. Il disait à ses familiers, qui aussi légers que lui ébruitaient ces propos, qu’il y aurait de grands changemens si Dieu l’appelait à régner. Il adressa ces paroles à la députation des anciens royalistes du camp de Jalès : « — Messieurs, jouissons du présent. Je vous réponds de l’avenir. »

Les mêmes sentimens animaient la duchesse d’Angoulême, qui en qualité de femme les poussait jusqu’à l’exaltation. Elle était née pour être la plus noble et la meilleure des princesses, mais sa bonté naturelle n’avait pas résisté à l’épreuve du malheur. Elle respirait la haine et la vengeance. Dans ses beaux yeux, qui restaient toujours rougis par les larmes, passaient des éclairs de colère si l’on parlait de quelque événement de la révolution. Une voix forte, âpre, masculine, donnait à ses paroles un caractère de dureté. Hallucinée par les fantômes décapités de son père et de sa mère, il lui semblait voir du sang aux mains de tous ceux qui avaient servi la république. Ses premiers mots, quand on lui présentait un nouveau venu, étaient : « — Vous étiez dans l’armée des princes, dans les armées de l’Ouest ? Combien de temps y êtes-vous resté ? » Et personne ne fut aussi bien accueilli par elle que la fameuse Langevin, cette virago vendéenne qui se vantait d’avoir tué de sa main quatre cents républicains, nommément son oncle, « lequel n’avait pas soufflé ! »

Esprit presque inculte et intelligence étroite, le duc d’Angoulême subissait l’ascendant de sa femme et de son frère. Par le cœur comme par la raison, il valait mieux que le comte d’Artois, mais il n’avait hérité de lui ni les grandes façons, ni la dignité, ni l’élégance. Il était emprunté, gauche, dépourvu de toute grâce.