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denier comptant ? Non ; ni les sommes mises jusqu’ici à la disposition des comités, ni celles que peuvent débourser de riches particuliers n’autorisent à le croire. Il n’en est pas moins vrai que les partis ne sont, pas plus ici qu’ailleurs, scrupuleux sur l’emploi des moyens, et que ceux auxquels ils ont parfois recours sont de nature à justifier de sérieuses appréhensions et à provoquer l’immixtion ouverte et brutale des millions dans les luttes politiques.

Si, en effet, rien n’est plus légitime, pour des citoyens libres dans un pays libre, que de contribuer de leurs deniers aux dépenses d’une élection, de constituer un fonds commun, d’y souscrire selon leurs moyens, de se faire, de cette souscription, soit un titre à la reconnaissance de leur parti, soit une réclame financière ou mercantile ; si l’on est forcé d’admettre que l’usage constant reconnaît à un parti le droit de stimuler le zèle de ses adhérens par la promesse de places lucratives, de désarmer ses adversaires influens par la perspective de grasses sinécures, il n’en est plus de même quand la pression exercée sur les électeurs prend la forme d’une contribution forcée, ou celle de sommes prélevées sur le trésor public et payées, sous une rubrique complaisante, en échange de votes futurs. Ce n’est pas là une hypothèse, mais bien une indéniable réalité.

En vertu du principe, proclamé en 1829 par le président Jackson, que les dépouilles appartenaient aux vainqueurs, spoils to the victors, on a vu les partis qui se succédaient au pouvoir remplacer, par leurs adhérens, les agens de tous ordres qu’ils trouvaient en fonctions. De là à conclure que ces fonctionnaires avaient un intérêt vital au maintien de leur parti aux affaires, à les inviter d’abord, à les obliger ensuite à souscrire, pour une somme calculée d’après le chiffre de leurs émolumens, à la caisse électorale, il n’y avait qu’un pas. Ces souscriptions obligatoires constituaient, pour le parti au pouvoir, une première mise de fonds importante. L’opposition, de son côté, ne se faisait pas faute d’obtenir, moyennant la promesse de ces places, des souscriptions au moins égales, et l’on aboutit à ce curieux résultat, qui prouve que l’ardeur des postulans l’emporte sur l’instinct de conservation des occupans, de versemens plus considérables faits par les premiers que par les derniers : « La caisse électorale de l’opposition, écrivait le New-York Herald, est plus facile à remplir que celle du parti gouvernant. »

Cette infériorité est, d’ailleurs, compensée, et bien au-delà, par la plus gigantesque machine électorale qu’ait jamais inventée un parti au pouvoir en vue de s’y maintenir. Nous voulons parler du Bureau des pensions, United States Pension bureau, créé lors de la guerre de sécession, en 1861, pour assurer une retraite aux officiers et soldats blessés de l’armée du Nord, une pension aux