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dénonçaient les projets du parti de l’émigration, signalaient l’influence croissante du clergé, montraient la réaction près de triompher, argumentaient avec une subtilité de casuistes sur les infractions à la charte. Durbach, Raynouard, Lambrechts, Bedoch, Dumolard, Flaugergues, Souques, Benjamin Constant, Comte, La Fayette, déclaraient la liberté en péril. Mme de Staël dogmatisait et « faisait rage constitutionnelle » au château de Clichy, où elle recevait à souper trois fois par semaine tout le personnel libéral. Chez la duchesse de Saint-Leu, chez Mme Hamelin, chez Mme de Souza, les bonapartistes criblaient d’épigrammes la famille royale, les ministres, les émigrés, et ne cachaient pas leurs espérances renaissantes. Mais les plus empressés à prédire la chute de Louis XVIII, les plus ardens à exalter les esprits, à provoquer l’agitation, à attiser les haines par leurs paroles et leurs écrits, c’étaient les anciens terroristes, Carnot, Fouché, Thibaudeau, Real, Thuriot, Méhée, Pons de Verdun, Merlin, Villetard, Grégoire, Garat, Prieur de la Marne.

L’opposition était montée du fond à la surface. On n’en était plus à ces premiers temps de la restauration où les classes supérieures et moyennes se félicitaient unanimement du retour des Bourbons, où tous les journaux célébraient la bonté et la raison de Louis XVIII et escomptaient les bienfaits de son gouvernement réparateur, où l’on ne voyait aux devantures des marchands d’estampes que portraits du roi et caricatures de l’empereur, où il ne paraissait d’autres brochures que les Sépulcres de la Grande armée, Buonaparte aux prises avec sa conscience, la Vie de Nicolas, le Mea culpa de Buonaparte, le Corse dévoilé, Robespierre et Buonaparte, la Résurrection d’Henri IV. Maintenant les salons devenaient inquiets et frondeurs. On parlait de coups d’État, d’une loi suspendant la liberté individuelle, d’émeutes, de conspirations militaires. Les étudians, opposés à l’empereur sous l’empire, se rangeaient parmi les ennemis des Bourbons. L’École polytechnique signa par ordre une adresse au roi, mais les élèves dirent : « Le cœur n’y est pour rien. » Les passions, les espérances, les animosités des partis se reflétaient dans la presse. La Quotidienne, — surnommée la Nonne sanglante, — la Gazette de France, le Journal des Mécontens, le Journal royal, soutenaient la politique violente et provocatrice des ultras. Le Journal de Paris, le Journal général, parfois le Journal des Débats[1], défendaient les idées

  1. Notamment dans la question de liberté de la presse. Mais s’il se rangeait parfois du côté des libéraux, le Journal des Débats n’en continuait pas moins d’attaquer avec la dernière violence les hommes, les actes et les souvenirs de la Révolution. L’article signé A…, du 29 septembre 1814, donne le ton du journal à cette époque.