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censures et des remontrances. Le 30 décembre, les chambres furent prorogées pour quatre mois. Ce gouvernement, qui avait supprimé la liberté de la presse, n’était pas fâché de n’avoir plus à compter, pendant quelque temps, avec la liberté de la tribune.


III

Un mois avant la clôture de la session, Beugnot, directeur-général de la police, avait dû résigner ses fonctions à la suite d’une alerte aux Tuileries. Le 30 novembre, une représentation de gala devait avoir lieu à l’Odéon. Vers cinq heures du soir, le maréchal Marmont, qui était de service avec sa compagnie de gardes du corps[1], apprit l’existence d’un effroyable complot : cent cinquante officiers à la demi-solde, embusqués sur le terre-plein du Pont-Neuf, allaient se ruer contre l’escorte, arrêter les voitures et jeter dans la Seine le roi et toute sa famille. Beugnot connaissait vraisemblablement ce prétendu complot, dont parlaient depuis plusieurs jours les rapports de ses agens, mais soit qu’il ignorât la date fixée par les conjurés pour ce coup de main, soit qu’il ne crût pas à cette conspiration, il n’avait pris aucune mesure particulière pour la sûreté de Louis XVIII.

Le duc de Raguse, lui, ne perdit pas cette occasion de faire parade de son zèle. Toujours fort glorieux du rôle de faiseur de roi qu’il avait rempli à Essonnes, il n’aurait pas été moins jaloux de celui de sauveur de roi. Le maréchal entra très agité chez Louis XVIII, lui révéla tout le complot et le supplia de ne point aller au théâtre. « — Mon cher maréchal, répondit spirituellement le roi, votre affaire est de me garder ; la mienne est d’aller m’amuser à la comédie. » Aussitôt Marmont fit appeler le général Maison, gouverneur de Paris, et le général Dessolles, commandant de la garde nationale. En une heure, toutes les troupes furent consignées, tous les postes doublés. Dix mille hommes s’échelonnèrent des Tuileries au Luxembourg. Marmont escorta à cheval la voiture royale, avec ses gardes du corps armés jusqu’aux dents. Quant aux conspirateurs, si conspirateurs il y avait, ils étaient restés chez eux. Aucun incident tragique ne vint troubler la représentation de la Petite ville, de Picard. Le lendemain, on rit un peu de la grande prise d’armes de Marmont, mais Beugnot, regardé comme peu vigilant, n’en dut pas moins quitter son poste.

Le roi donna à Beugnot le portefeuille de la marine, sans

  1. Les six compagnies de gardes du corps étaient de service aux Tuileries chacune pendant six semaines consécutives. La 6e compagnie (compagnie Raguse) avait pris son service le 16 novembre.