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maintenant, par expiation, nous couper tous le cou les uns aux autres[1]. »

La nuit se passa sans événemens. Rien ne vint confirmer les appréhensions d’une nouvelle Saint-Barthélémy qui couraient dans Paris depuis trois semaines. Naturellement, il se trouva des gens pour déclarer que c’était l’attitude menaçante du peuple aux obsèques de la Raucourt qui avait intimidé les royalistes. À vrai dire, il est impossible de croire qu’un pareil projet ait jamais été sérieusement discuté, que l’on ait arrêté le plan d’un massacre et qu’on en ait fixé la date. Mais peut-on affirmer que des rêves de vengeance ne hantaient pas certains fanatiques, que ceux-ci ne se communiquaient pas leurs idées, que des propositions dans ce sens ne furent pas soumises aux princes qui les repoussèrent sans trop s’indigner ? Peut-on affirmer, enfin, que quelques chenapans, pareils à Maubreuil, ne s’occupèrent pas de recruter des hommes prêts à toutes les besognes pour le jour où se présenterait l’occasion de les employer ? Dans le Mémoire de Blacas, dans une lettre d’Alexandre au comte de Grimoard, il est question de projets sanguinaires agités aux Tuileries. L’affaire du colonel Stévenot, accusé d’enrôlemens clandestins, et dont l’arrestation fit tant de bruit au mois de février, fut étouffée de crainte de révélations compromettantes[2]. On dressa des guets-apens contre le duc de Bassano et

  1. Rapport de police, 27 janvier. (Archives nationales, F7, 3739.) — La prédication de l’abbé de Boulogne était d’une si grande violence que les journaux reçurent l’ordre de ne la point reproduire textuellement. L’analyse qu’en donne la Quotidienne du 22 janvier est déjà suffisamment caractéristique. — Dans nombre d’autres églises de Paris et des départemens, on prononça en chaire des sermons non moins véhémens. Le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois dit : « Jurez de poursuivre sans relâche les scélérats qui ont commis ce crime. » Rapport de police, 23 janvier. (Archives nationales, F7, 3739.)
  2. Stévenot, d’abord commissaire de section à Paris, fut condamné le 27 septembre 1792 pour spoliation d’effets, à douze ans de fer avec exposition. Il s’évada deux ans plus tard du bagne de Brest, entra sous le nom de Richard dans l’armée vendéenne, où il devint colonel et chevalier de Saint-Louis. Revenu à Paris en 1814, il reprit, on ne sait pourquoi, son nom de Stévenot, et en qualité d’ancien colonel, il sollicita le grade de maréchal-de-camp. (Son nom, porté sur la liste des propositions, ne fut radié qu’au mois de mars, après son arrestation.) En attendant, il s’occupa de recruter dans les cabarets des volontaires pour une légion royale, a destinée, disait-il, à s’opposer aux machinations ourdies par les jacobins et les bonapartistes. » Sans peut-être avoir consulté la cour, Dandré le fit arrêter le 25 février. Des journaux trop pressés annoncèrent cette arrestation dès le 26, ce qui produisit une grande agitation. On se trouva fort embarrassé de ce prévenu, qui prétendait n’avoir agi que d’après les ordres du comte d’Artois, du duc de Berry et de M. d’Escars. On pensait déjà à l’aider à s’échapper quand on découvrit que ce colonel était un forçat évadé. Il était facile de le réintégrer au bagne sans autre forme de procès. En attendant qu’il fût statué sur son sort, on l’écroua à la Force, puis, Louis XVIII se disposant à laisser Paris à Napoléon, on le mît en liberté le 19 mars. En décembre 1816, il fut question de l’arrêter de nouveau, mais le ministre de la police, Decazes, écrivit « qu’il serait dangereux d’envoyer Stévenot devant les tribunaux, car il citerait le nom des princes. » On se décida donc à le gracier en 1817. Douze ans plus tard, sur la présentation de plusieurs pièces, entre autres d’une lettre du comte de La Fruglaye, ancien général vendéen, qui affirma que Stévenot n’avait agi en 1814 et 1815 que d’après les ordres des princes, ce personnage fut solennellement réhabilité (arrêt de la cour du 14 juillet 1829) et, peu de jours après, il fut admis à la retraite comme maréchal-de-camp. (Dossier de Stévenot. Archives de la guerre. Rapports de police, 4-6 mars. Archives nationales, F’, 3739.)