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écrivait, le 3 février, le lieutenant de gendarmerie de Saint-Pol de Léon, feraient douter de la bonté du roi. »

Tout cela ne popularisait pas le gouvernement de Louis XVIII. En février 1815, le Paris des boulevards fronde, le Paris des faubourgs gronde. Dans les salons, on lit le Nain jaune ; dans les rues, on chante la Marseillaise. En province, où l’on a hué les députés ministériels et porté en triomphe les députés de l’opposition, les opinions sont plus surexcitées. La noblesse est ultra-royaliste. La bourgeoisie est libérale. Elle regarde la charte comme une chose sacrée, jalouse les nobles, déblatère contre les prêtres. Un notaire d’Évaux (Creuse) dit publiquement : « — Il faudra bien que Louis XVIII fasse comme nous voudrons, sinon nous le traiterons comme Louis XVI. » Quant au peuple, la plupart des préfets signalent chez lui la persistance de l’esprit de 1789 et des souvenirs bonapartistes. L’Ouest est ardemment divisé. « Pour la garde nationale, écrit le 12 janvier à Montesquiou le comte de Beaumont, préfet de la Vendée, les maires royalistes ne veulent y inscrire que ceux qui ont chouanné, les maires patriotes ne veulent y enrôler aucun brigand. » À Hericy, près Melun, le premier jeudi de mars, on promène avec des rires et des huées deux mannequins représentant le roi et un curé. Dans vingt départemens, on profère des cris séditieux, on outrage les images de Louis XVIII, on enlève les drapeaux blancs des clochers et les armes royales des enseignes des boutiques. Et le colonel Tholozé écrit à Soult : « On ne saurait mettre trop de douceur dans la répression sous peine de malheur. » Sur les routes du Mans à Angers, d’Orléans à Bourges, de Montpellier à Rodez, de Guéret à Aurillac, les réfractaires unis aux contribuables en fuite arrêtent les diligences, pillent les caisses publiques, détroussent les voyageurs, fusillent avec les gendarmes. Dans les environs de Sarlat, il y a deux mille paysans en armes.

Mais aux Tuileries on ne s’inquiète pas. Si le roi lit chaque jour les rapports de police et les lettres ouvertes par le cabinet noir[1], c’est pour y chercher son amusement et non pour en faire son profit. Au reste, il sait que personnellement il est plutôt populaire, du moins à Paris, et que l’on attribue à ses bons parens et à ses

  1. Aux Archives des affaires étrangères, le volume 675-676, qui contient 293 pièces, est exclusivement formé de copies de lettres décachetées par la police. Il y a là non-seulement des lettres de Français, généraux, magistrats, préfets et personnages connus comme Mme de Staël, Alexandre, Brès, etc., mais même des lettres confidentielles que les ministres étrangers accrédités près la cour des Tuileries adressaient à leur souverain ou à leur département. Sous la restauration, les diplomates jouissaient de toutes les immunités, sauf du secret des lettres.