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qu’il a demandée, faire transférer le détenu d’un lieu dans un autre ; du jour au lendemain faire lever l’écrou. D’Argenson écrit au vicomte Du Chayla : — « Le père est si irrité qu’il le tiendra vraisemblablement longtemps en prison. » Nous lisons dans une lettre envoyée par Lejeune, fils d’un papetier du Marais, à sa mère : — « Le Père prieur (de Charenton) m’a dit que je ne sortirois d’icy que quand mon père seroit mort ; quoiqu’il me fasse de la peine, je l’aime toujours, et souhaite qu’il vive plus longtemps que moi. » — Chabrier de Laroche, capitaine réformé au régiment de cavalerie-Lusignan, fils d’un président à la Chambre des comptes, fut conduit dans les prisons du For-l’Évêque, sur un placet de son père, le 24 octobre 1751. Le 12 novembre suivant, le père demanda la mise en liberté du prisonnier, mais avec un ordre du roi qui le reléguerait à la suite de son régiment ; ce qui fut accordé, et le jour même où le jeune homme sortait de prison, à savoir le 14 décembre, le père obtenait une seconde lettre de cachet qui lui donnait pouvoir de faire arrêter à l’avenir son fils, s’il venait à quitter son régiment, en quelque lieu qu’il se trouvât, et de le faire mettre en prison pour vingt ans.

Et si, par aventure, le ministre hésitait à mettre les foudres royales entre les mains d’un père irrité, il s’exposait aux rudes paroles que l’un d’eux fait entendre à Malesherbes : — « Quand l’autorité tutélaire et souveraine se refuse à appuyer l’autorité domestique, elle sait, sans doute, où prendre les ressorts propres à veiller sur la tête de chaque individu en particulier. Je m’y résigne donc ; mais elle ne pourra refuser un jour à ma vieillesse, qui viendra lui demander compte de la prostitution d’un nom qui avoit été transmis sans tache, et que j’avois tâché de conserver tel, son secours pour le dérober du moins à la flétrissure portée par les lois. »

En l’absence du père, c’est la mère qui rédige la requête, et en l’absence de père et mère, les principaux membres de la famille, frères, oncles, cousins, les amis mêmes de la maison, réunissent leurs signatures pour obtenir une lettre de cachet contre un libertin qui, par sa mauvaise conduite, menace de ternir l’éclat d’un nom respecté. Le pouvoir de la mère est encore très grand devant l’administration, surtout lorsqu’il s’agit d’une fille. Catherine Flaubert, veuve de Pierre Fontaine, ouvrier plombier, âgée de soixante-dix ans, « ayant une fille qui lui avoit désobéi pour vouloir épouser un garçon malgré elle, se vit obligée de la faire mettre, par ordre du roy, à la maison de force de la Salpêtrière. » La mère ayant soixante-dix ans, quel pouvait bien être l’âge de cette fille ? Marie Brache, veuve d’un maître ferrailleur à