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Dans le coin du boudoir, ils étaient lus par Clitandre, qui les assaisonnait de commentaires, aux éclats de rire de Célimène et du marquis. Le prononcé des juges était de même imprimé avec les considérans, et l’on entendait les colporteurs, camelots de l’époque, ils foisonnaient déjà dans Paris, les crier par les rues jusque devant la maison des intéressés.

Une remarque s’impose au sujet des lettres de cachet sollicitées par l’un des époux contre l’autre : l’ordre du roi était obtenu beaucoup plus facilement par le mari contre la femme que par la femme contre le mari, ce qui n’empêchait pas les lettres de cachet contre les maris d’être plus nombreuses, par la raison, constate Malesherbes, qu’elles « étoient sollicitées avec beaucoup plus d’ardeur que toutes les autres. » Au cours de son mémoire à Louis XVI, Malesherbes fait encore à ce sujet une observation intéressante : — « Je dois, écrit-il, révéler un des secrets de l’administration. C’est qu’il y a plus de celles-là, — à savoir des lettres de cachet contre les maris, — que de celles qu’on donne contre les femmes. Mais il y a une différence. La femme ne fait pas la demande en son nom. Ceux qui s’intéressent à son sort font le récit de ses malheurs aux distributeurs des ordres du roy. On prend des informations sur la conduite du mari, et quand on trouve des prétextes pour l’enfermer, on les saisit. » — La femme n’avait donc pas qualité pour demander elle-même une lettre de cachet ; quand l’ordre était délivré contre son mari, l’autorité royale était censée agir spontanément.

L’observation de Malesherbes nécessite cependant une réserve. Ces finesses ne trouvaient guère leur application que dans le monde de la noblesse et de la haute bourgeoisie ; le peuple en agissait avec plus de simplicité, et nous avons eu occasion de lire un nombre infini de requêtes rédigées par les femmes elles-mêmes et en leur nom.

L’autorité du roi intervenait dans les ménages, lors même qu’il n’y avait pas scandale. C’est ainsi que le jeune duc de Fronsac, nommé plus tard, à la mort de son père, duc de Richelieu, lut mis une première fois à la Bastille, parce qu’il n’aimait pas sa femme. Le beau cavalier fut gardé plusieurs semaines sous les verrous, « dans une solitude ténébreuse, » dit-il, en l’unique société d’un abbé rébarbatif qui lui faisait des sermons sur le devoir. Quand tout à coup, par la porte du cachot, sa femme entra jeune et gracieuse : — « Le bel ange, écrit le duc, qui vola de ciel en terre pour délivrer Pierre n’étoit pas aussi radieux ! »

Les rapports du grand lieutenant de police d’Argenson, où l’on voit tant d’observation et d’humour, sont remplis de traits