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Malesherbes, Breteuil, ne cessent de revenir sur ce point, et les faits justifient leur étonnement. Après l’exécution de Damiens, tous ses parens, même éloignés, furent chassés du royaume et ceux qui, par grâce spéciale, obtinrent l’autorisation de demeurer en France, furent condamnés à changer de nom.

Le second des caractères propres à la famille de l’ancienne France est l’autorité du père. C’est un fait commun à l’histoire sociale de tous les grands peuples ; il inspire les beaux développemens où se complaît le professeur de rhétorique parlant du pater-familias romain : — « Les vrayes images de Dieu sur la terre, écrit Estienne Pasquier, sont les père et mère envers leurs enfans. » — Il convient de prendre ces paroles presque à la lettre. L’autorité du père était absolue : elle l’était à un degré que nous ne comprenons plus aujourd’hui. Voici un trait, entre d’autres, que M. le vicomte de Broc rapporte dans son bel ouvrage sur l’ancien régime : — « Un conseiller au parlement de Dijon avait un fils dont il arrangea le mariage. Celui-ci, en ayant été informé par le bruit de la ville, se présenta dans la chambre de son père. Il parut en tremblant. C’était la première fois qu’il osait venir sans avoir été appelé : — « On assure, dit-il à son père, que vous avez résolu de me marier avec une personne dont on désigne le nom. Me serait-il permis de vous demander ce qu’il y a de fondé dans ces propos ? » — Le conseiller, surpris de cette question, répondit sévèrement : — « Mon fils, mêlez-vous de vos affaires ! » — Peu après, le jeune homme épousait celle que la volonté paternelle lui avait destinée. » — On ne s’étonnera pas des cruelles conséquences que produisait souvent une autorité aussi absolue. Le XVIIe siècle nous en fournit des exemples terribles : — « L’on a trouvé le jeune d’Attainville dans sa chambre, écrit le lieutenant criminel Lecomte, mort d’un coup de pistolet. Entre autres papiers, on a trouvé deux billets par lesquels il est marqué que la cruauté de son père pour lui le force à se donner la mort pour mettre fin à ses peynes. Il ajoute que son père est notaire et demeure rue de Condé, qu’il s’est remarié à une femme de mauvaise vie, source de tous ses malheurs. » — Les lois et la jurisprudence étaient inspirées du même esprit : nous trouvons encore au XVIIIe siècle des arrêts condamnant des hommes coupables d’avoir frappé leur père à être pendus, arrêts qui furent exécutés. Comme dans la Rome antique, le père était le juge de ses enfans. À la veille de la Révolution, Malesherbes le constate et l’admet. Dans l’intérêt de la « maison, » le père conservait le droit de priver son fils de la liberté, celui-ci fût-il majeur, marié, lui-même père de famille. Quant au roi, il n’hésitait pas à mettre sa puissance à la disposition du père justicier.