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son séjour à Paris, elle en prit cinq ou six, et, pour se créer des ressources, elle commença de donner à jouer. Cette fois, ce fut la police qui dut intervenir, et la dame étant de bonne maison, ce fut d’Argenson lui-même qui crut devoir, de sa propre main, faire son rapport au chancelier. Je n’en donne qu’un court extrait :


Les crimes qu’on impute à Mme de Murat, écrit-il sous la date du 24 février 1700, ne sont pas d’une qualité à pouvoir être aisément prouvés par la voie des informations, puisqu’il s’agit d’impiétés domestiques, et d’un attachement monstrueux pour des personnes de son sexe. Cependant, je voudrais bien savoir ce qu’elle répondrait aux faits suivans :

Un portrait percé de plusieurs coups de couteau par la jalousie d’une femme qu’elle a quittée pour s’attacher à Mme de Nantiat, autre femme du dernier dérèglement… Cette femme, logée chez elle, est l’objet de ses adorations continuelles en présence même de valets ; ..

Les juremens exécrables proférés au jeu, et les discours infâmes tenus à table ; ..

Des chansons dissolues chantées à toutes les heures du jour et de la nuit ; ..

Sa conversation audacieuse avec M. le curé de Saint-Cosme, aussi éloignée de la pudeur que de la religion ; ..

J’ajouterai que Mme de Murat et ses complices sont tellement redoutés dans leur quartier que personne n’ose s’exposer à leur vengeance…


Et le mari, demandera-t-on, que faisait-il pendant ce temps-là ? Je parle maintenant du comte de Murat. Ce colonel d’infanterie se taisait, « pour ne pas s’exposer aux fureurs d’une femme qui l’avait pensé tuer deux ou trois fois déjà. » Protégée qu’elle était par de très hauts personnages, Mme de Murat se moquait de lui, comme aussi bien de d’Argenson et du chancelier Pontchartrain. On réussit pourtant, vers la fin de 1702, à débarrasser Paris de sa présence, et on l’interna au château de Loches. Elle y demeura jusqu’en 1715, et pour amuser les longs loisirs de sa captivité, c’est alors, elle aussi, comme Mlle de La Force, qu’elle écrivit ses romans : les Mémoires de sa vie ; les Effets de la jalousie ; les Lutins du château de Kernosi ; le Voyage de campagne ; le Comte de Dunois ; et, pour obéir à l’usage, une douzaine de Contes de fées.

Je me doute bien que, dans ces aventures, — auxquelles, je le répète, si l’on en voulait joindre de semblables par douzaines, il suffirait de feuilleter, d’une main négligente, les Rapports de d’Argenson, ou les Lettres de Madame, — quelques lecteurs ne trouveront rien qui passe l’ordinaire ; et je leur accorde sans difficulté que, comme on l’a si bien dit, « la malice ou la bonté du monde