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I

Mariés, ils vinrent habiter Paris. Libre de son temps par sa fortune, Paul fut attiré irrésistiblement vers les lettres ; et il se rencontra que tel avait toujours été le rêve de Marie. Le mariage, maintenant, élargissant à toutes les circonstances de la vie la communauté de leurs impressions et de leurs jugemens, achevait de les révéler l’un à l’autre. Leur union intellectuelle se fortifiait, de plus en plus étroite, scellée en quelque sorte indissolublement. Les idées exprimées par l’homme avaient immédiatement leur écho dans l’esprit de la femme ; et Paul éprouvait souvent la surprise, à quelque pensée qui lui venait, d’entendre, avant qu’elle ne se fût précisée, avant qu’elle n’eût trouvé sa formulation en des paroles, cette pensée même tomber des lèvres plus promptes de Marie. Il arrivait que leurs rêveries, après de longs silences, avaient porté sur les mêmes objets, flotté parmi des visions identiques.

De cette intime communion, alors, à mesure que Paul, à l’aide de lectures, de conversations, haussait jusqu’au niveau du sien l’esprit déjà largement développé de la jeune femme, Marie, par une pente naturelle, sans que ni l’un ni l’autre l’eût prémédité, devint la confidente des travaux de son mari. Il se plut à l’associer à son effort d’écrire. Il lui lut chacune de ses pages, avant de l’arrêter définitivement. Et il n’eut pas de surprise devant la sûreté de jugement qu’elle montra. Il éprouva seulement la joie de se sentir, par elle, rasséréné, lorsque le doute de son œuvre lui laissait la tristesse de l’impuissance humaine ; de recevoir d’elle la confirmation nécessaire à ses hésitations, à son perpétuel désir du mieux, à sa recherche inapaisable de la forme ; de voir aussi parfois, aux heures de lassitude, jaillir de l’esprit de la femme le trait de lumière dont sa route s’illuminait, éclairant le but vainement poursuivi.

À tant, insensiblement, il se manifestait qu’elle pourrait, quelque jour, participer à son œuvre. Chez la jeune femme, ainsi, la passion du labeur littéraire naissait. Aucun enfant n’était venu. L’union de leurs corps demeurée stérile, nul obstacle ne se présentait à l’union absolue de leurs esprits dans le travail. Bientôt, cela leur fut un besoin. Marie accepta.

Ils construisirent un roman, dans ses grandes lignes, se réservant de déterminer au fur et à mesure les chapitres. Afin de marcher du même pas, de mêler véritablement en une œuvre unique la double création de leurs esprits, ils convinrent que chacun d’eux écrirait sa page, et qu’ensuite ils compareraient. De cette manière,