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William Shakspeare, tombe bien souvent dans ce défaut. Il y a dans la révolution française, n’est-ce pas, du Luther et du Grégoire VII ? Certainement, attendu que dans toute période de l’histoire humaine il y a de l’instinct de révolte et de l’instinct de tyrannie. Mais vous ne voyez pas la conclusion magnifique que l’on peut tirer de là et l’espérance sublime qu’on peut en concevoir ? Vous avez la vue bien courte : « Voilà donc les deux principes les plus contraires, Grégoire VII et Luther, qui fermentent dans les mêmes cœurs, les mêmes assemblées, la même révolution : signe palpable que l’avenir, en s’élevant, peut concilier tout ce que le passé a séparé. » Oh ! qu’en savons-nous, et de ce que, par exemple, les hommes ont toujours été bons et méchans, conclurons-nous qu’il doit y avoir un jour conciliation de ces élémens longtemps contraires ! Voilà des manières de raisonner ! — Ce sont manières de professeur éloquent de 1840. Proudhon, qui arrivait à Paris vers ce temps-là, était exaspéré en sortant des cours publics. L’exaspération est de trop ; mais je reconnais que la logique robuste du Jurassien devait quelquefois souffrir. — Jusqu’à la fin, Quinet a eu de ces complaisances à une dialectique facile. Dans la Révolution il dira : « Le premier personnage qui entre en scène est le parlement ; il réclame les États-généraux de 1614 ; pour lui, le plus lointain avenir était de refaire une Fronde. » Réclamer en 1789 les états-généraux, réunis pour la dernière fois en 1614, ce que toute la France réclame, c’est vouloir refaire la Fronde ? En quoi ? Pourquoi ? Quel rapport ? Quel lien ? Que voulez-vous dire ? Rien du tout. Parlement… Fronde… la phrase est faite ; n’est-ce point ce qu’il faut ? — Jusque dans la Création il aura cette illusion de l’esprit qui consiste à croire qu’une idée est juste ou probable parce qu’elle fait une phrase équilibrée : « Si la géologie est avant tout une histoire, elle doit reproduire les lois les plus générales de l’histoire. » Je ne vois pas ce qui l’y force, si ce n’est le nom que vous lui donnez, et qu’elle n’est pas tenue de prendre. Jusque dans l’Esprit nouveau, avec une légèreté, cette fois incroyable, il fera tout un chapitre, et même sept ou huit, sur cette idée : la philosophie allemande moderne (Schopenhauer, Hartmann, il les nomme) est la philosophie du désespoir ; les vainqueurs sont désespérés, les vaincus joyeux, « les vaincus consolent les vainqueurs ; » les Allemands devraient être enivrés de leurs triomphes, « on devrait s’attendre à rencontrer un prodigieux fantôme d’orgueil dans les créations de l’esprit allemand. Tout a réussi à l’Allemagne : elle est au comble de ses vœux. Elle a la force, la victoire. Sa coupe est pleine, son orgueil rassasié. Parvenue à ce faîte, quelles pensées lui auront été inspirées par les complaisances inouïes de la bonne fortune ? Pensées d’allégresse… Non, satiété, dégoût des choses divines et