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C’est qu’il reste et resta toujours un esprit profondément théologique. Au fond, cette unité dans l’organisation des choses, c’est le dessein de Dieu, dessein qui doit être unique, puisque Dieu est un. Quinet continue de chercher Dieu. Il le cherche dans la création comme il le cherchait dans l’histoire. Il part de ce principe : Dieu est, Dieu est un, Dieu n’a qu’une volonté. Voici la géologie. Elle est intéressante. Oui ; non certes pour elle-même, qu’importerait ? mais Dieu doit y avoir laissé la marque de sa volonté, et cette volonté étant une, nous aurons du même coup le secret du dessein de Dieu sur nous.

Même en se plaçant au point de vue déiste, cette méthode est bien arbitraire. Qui nous assure que Dieu soit forcé de n’avoir qu’une volonté, et de faire toutes choses de la même manière, et de conduire tous ses desseins sur le même plan, et par exemple, de mener la marche de l’humanité comme la marche du développement des espèces ? Rien ne nous en assure que le désir que vous avez qu’il en soit ainsi pour que tout soit un, ce qui est plus beau. La raison ne vaut pas ; car rien non plus n’assure que pour Dieu comme pour vous l’un soit plus beau qu’autre chose. Là encore vous vous flattez trop d’assister au conseil de Dieu et qu’il n’y a rien de caché pour vous dans sa pensée. Quoi qu’il en soit, telle fut l’idée maîtresse de la Création.

Elle est séduisante parce qu’elle est vaste ; elle est même spécieuse parce qu’elle satisfait ce désir d’unité qu’il faut compter parmi les besoins intellectuels de l’homme. Nous avons besoin de l’ordre universel, et nous avons besoin aussi, jusqu’à présent, que l’ordre universel ressemble à un ordre humain bien établi, ou qui est tombé juste. Pour serrer de plus près, nous avons besoin de symétrie. Il nous faut des correspondances, des « répliques » d’une partie à l’autre du monde. Il nous agrée que la nature soit faite comme l’humanité ou l’humanité comme la nature. C’est un argument pour certains sociologues que la nature soit despotique ou égalitaire, selon qu’ils la voient telle ou telle. Les païens faisaient la nature tout humaine ; ils la créaient à leur image, autrement dit, ils la voyaient avec leurs yeux, lis y mettaient une multitude de puissances individuelles plus ou moins grandes, plus ou moins intenses, agissant chacune à sa façon, sur la matière, se combattant entre elles, ou se hiérarchisant entre elles, selon les temps. En un mot, ils voyaient la nature comme ils se voyaient. Et maintenant que nous connaissons mieux la nature, voici un homme qui n’est pas le seul à juger ainsi, qui s’avise, non plus de penser que la nature ressemble à l’humanité, mais que l’humanité doit ressembler à la nature. Il n’humanise plus la nature, il naturalise l’humanité. Au fond, il fait tout comme les anciens ; il obéit au