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publique, aussi bien que pour la production nationale. Il faut autre chose. On s’est occupé justement ces jours derniers, sous l’impression des affaires de Carmaux, de régulariser le système de l’arbitrage, d’en faire, non plus seulement un expédient de circonstance, mais une institution permanente, destinée à prévenir les chocs ou à dénouer les conflits dans le monde du travail. On a même voté la loi en toute hâte. À dire vrai, on aurait dû y songer, il y a vingt-cinq ans déjà, lorsqu’on mettait dans les lois le droit de coalition et de grève. C’était le moment ! « Les coalitions et les grèves, disait déjà à cette époque un ouvrier intelligent et sensé de Lyon, — les coalitions et les grèves, c’est bien. Nous avons le droit de défendre nos intérêts et de concerter notre défense. Ce n’est pas tout cependant. On nous donne le moyen de faire la guerre, on ne nous donne pas le moyen de faire la paix ! » Ce moyen, c’est l’arbitrage aujourd’hui. Sans doute, cet arbitrage, il reste à l’organiser et il ne sera pas peut-être facile à acclimater ; mais le principe est voté, — et ce principe, c’est la paix opposée à toutes les passions d’anarchie et de guerre intestine, qui menaceraient la France dans sa sécurité et dans sa fortune.

Ainsi vont et se succèdent les choses dans leur éternel mouvement, et avec les choses passent les hommes qui ont eu leur place grande ou modeste dans les affaires du monde, par l’action ou par l’esprit. Le moment n’est point en vérité propice pour les lettres à ce déclin de saison. Elles sont frappées à coups répétés, et ceux qui font le moins de bruit, qui s’en vont le plus simplement, ne sont pas ceux qui sont le moins faits pour mériter l’estime et laisser des regrets.

Après M. Ernest Renan, qu’on veut maintenant loger au Panthéon, en lui donnant pour compagnons, dans la froide et sombre crypte, Michelet et Quinet, c’est un aimable écrivain, l’honnête Xavier Marmier qui vient de s’éteindre tranquillement, ne demandant que le silence à ses funérailles et le repos définitif dans sa terre natale du Jura. Depuis quelques années, déjà pressé par l’âge sans en être troublé, il ne vivait plus qu’avec ses livres, pour l’Académie à laquelle il réservait ses assiduités et pour un cercle d’amis qui savaient tout ce que ce galant homme avait gardé d’aménité, de bon goût, d’imagination fertile en souvenirs, de liberté d’esprit dans sa vieillesse toujours souriante et accueillante. Il était d’une autre génération. Il avait été dépassé sans en être plus morose à l’égard des nouveaux venus. Il ne faut pas cependant oublier que cet aimable et modeste écrivain qui nous avait précédés tous ici, dont les débuts à la Revue datent de 1833, avait été un des plus intrépides voyageurs, qu’il avait visité la Russie, la Sibérie, le Spitzberg, la Laponie, les Feroë, lorsqu’on ne les visitait guère encore ; il ne faut pas oublier qu’il avait été un des premiers à propager par ses études le goût des littératures étrangères, à ouvrir ou à élargir pour ainsi dire les relations intellectuelles de la France avec l’Alle-