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monde caché des transformations chimiques, qui apparaissait pour la première fois devant l’esprit humain.

Aussi, dans ces premiers traités grecs, tous les liquides actifs de la chimie sont-ils confondus sous un nom commun, celui de l’eau divine, ou des eaux divines. « L’eau divine est une, quant au genre, disent-ils ; mais elle est multiple, quant à l’espèce, et elle comporte un nombre infini de variétés et de traitemens. » Ils désignent ces variétés par les noms symboliques les plus divers, eau aérienne, eau fluviale, rosée, lait virginal, eau de soufre natif, eau d’argent, miel attique, écume marine, etc. La confusion entretenue par cette variété de dénominations était d’ailleurs systématique ; elle avait pour but avoué de cacher le secret des fabrications au vulgaire et aux gens non initiés. S’il est parfois possible d’entrevoir, dans le vague voulu des descriptions des alchimistes grecs, quelque chose de précis, il n’existe, à ma connaissance, dans ces descriptions, aucun texte qui soit applicable à la distillation du vin. C’est à peine si le principe de la distillation fractionnée et la diversité de ses produits successifs sont signalés dans un ou deux passages ; mais ces passages paraissent s’appliquer au traitement des polysulfures alcalins, ou de matières organiques sulfurées, n’ayant rien de commun avec l’alcool.

Je n’ai pas rencontré davantage de texte précis, relatif soit à l’alcool, soit même à un liquide distillé défini quelconque, dans les traités arabes de médecine et de matière médicale, imprimés jusqu’ici, ou bien dans les ouvrages arabes manuscrits de Géber et des autres auteurs alchimiques que j’ai en main et dont je prépare la publication. Je me suis expliqué plus haut à cet égard sur les passages de Rasés, cités parfois, mais à tort ; car ils désignent seulement des liquides fermentes, sans faire allusion ni à leur distillation, ni à l’extraction de l’alcool. De même on a parlé d’Abulcasim ; mais cet auteur, après avoir décrit certains appareils distillatoires, reproduits du dibicos et du tribicos des Grecs, ajoute simplement : « D’après cette méthode, celui qui désire du vin distillé peut le distiller. » Et il prescrit de distiller aussi par ce moyen l’eau de rose et le vinaigre. Il fait mention uniquement d’une distillation en masse. Néanmoins, il est incontestable que l’idée de la préparation d’une eau aromatique distillée, telle que l’eau de rose, fort usitée en Orient, apparaît ici nettement pour la première fois ; mais il n’y a rien qui s’applique ni à une essence proprement dite, ni à l’alcool en particulier.

Dans ces textes, je le répète, il s’agit simplement de distiller le vin, sans aucune distinction entre les produits successifs d’une distillation fractionnée. Cependant, on s’était aperçu dès