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les décès constatés. Mais c’était surtout hors frontières que, sous l’empire comme sous la révolution, nos soldats allaient mourir ; et quelles hécatombes, même quand on était vainqueur sur toute la ligne[1] ! Les chiffres de 1816 et de 1826 furent obtenus comme celui de 1811, et il n’y a eu de véritable recensement, entre Napoléon et Louis-Philippe, que celui de 1821 (30,461,900 âmes). À partir de 1831, les dénombremens effectifs sont devenus quinquennaux, et l’on s’est appliqué à en perfectionner le mécanisme, tout en en élargissant le cadre. On ne se borne plus à compter les individus ; on les interroge, par écrit, et on les classe tant bien que mal d’après leur sexe, leur âge, leur nationalité, leur condition civile, leur profession…

À la fin du second empire, la France devait avoir 38 millions et demi d’habitans, et c’est encore, à peu de chose près, ce que lui donne le dénombrement de l’année dernière (38,343.200 habitans, dont 1,101,800 étrangers). Les vingt années écoulées depuis la guerre n’ont fait que nous rendre ce que nous avions perdu, soit par la mutilation du territoire national, soit par les exceptionnelles calamités qui l’ont accompagnée.

Les dénombremens directs sont le correctif nécessaire des statistiques de l’état civil, parce que le double jeu de l’émigration et de l’immigration vient troubler chaque année, dans des proportions indéterminées, le double mouvement des naissances et des décès. Un recensement bien fait est pour la démographie une source d’informations que rien ne saurait suppléer. Cependant il ne faut pas s’exagérer la rigueur de ces comptages périodiques, et ceux qui y président doivent être les premiers à modérer, par l’aveu sincère des erreurs probables, la confiance un peu aveugle dont le public se montre disposé à les honorer. La précision de certains résultats est purement apparente. Quand la statistique agricole déclare qu’au 30 novembre 1882 la France possédait 12,871,878 lapins, on peut sans irrévérence faire suivre d’un point d’interrogation cette révélation mystérieuse. Il en est de même, jusqu’à un certain point, pour les 38,343,192 habitans qu’adjuge à notre pays le dénombrement du 12 avril 1891. Si ce total était exact à un millième près, l’administration aurait droit à des félicitations ; mais ce degré d’approximation très méritoire n’autoriserait pourtant à garantir ici que trois chiffres sur huit.

La première et la plus grande difficulté, quand il s’agit de saisir au vol, pour ainsi dire, toute une population, vient de la

  1. On parait autorisé à croire que les guerres de la révolution ont coûté la vie à 1 million et les guerres de l’empire à 2 millions d’hommes (Français ou alliés). Voir le compte-rendu de la séance de l’Académie des Sciences morales et politiques du 18 juin 1892.