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autour d’eux : lorsqu’on eut retiré de la circulation pour deux milliards de greenbacks, le papier-monnaie remonta rapidement à 75 pour 100 de sa valeur nominale ; mais les prix s’en ressentirent dans la même proportion ; on offrit moitié moins de dollars pour les mêmes objets ; et les gens de l’Ouest s’écrièrent que les capitalistes et les spéculateurs des États atlantiques voulaient affamer les ouvriers et ruiner tout l’Ouest, en restreignant la large circulation à laquelle les hauts prix de toutes choses avaient été dus. Les villes et les États qui avaient contracté pour leurs travaux publics des emprunts considérables à New-York, Boston ou Philadelphie, et qui s’étaient flattés de les rembourser en papier déprécié, appréhendaient de se voir contraints de s’acquitter en or ou en un papier au prix de l’or. Il fallait arrêter cette contraction de la circulation et même rendre à celle-ci ses anciennes proportions. C’était une opinion généralement accréditée dans tout l’Ouest que le minimum de la circulation américaine devait être de 200 dollars par tête, et que la laisser descendre au-dessous de ce chiffre, c’était paralyser les progrès de la prospérité publique. Les inflationistes, ainsi qu’on nomma les propagateurs de cette nouvelle doctrine, trouvèrent des alliés empressés dans les propriétaires et les actionnaires des mines d’argent. La production de ces mines avait pris un grand développement depuis 1868, et elle allait toujours en s’accroissant. Les intéressés protestaient bruyamment contre l’exclusion dont l’argent avait été frappé par la loi monétaire de 1873 : il y avait, disaient-ils, dans les flancs des montagnes Rocheuses, une source inépuisable de richesse pour les États-Unis, si le maintien d’une législation inique ne paralysait pas l’exploitation des mines. Les silvermen, comme on les appela, demandaient donc à grands cris que l’argent fût monnayé de nouveau, qu’il reprît rang à côté de l’or comme monnaie légale et avec pleine valeur libératoire.

Une lutte acharnée s’engagea d’une part entre les États Atlantiques partisans de l’étalon d’or et du retrait du papier-monnaie, et de l’autre les États de l’Ouest unanimement inflationistes et leurs coalisés, les États du Pacifique, où dominaient les silvermen. Chaque session vit reparaître des propositions de loi qui avaient pour objet ou de reculer la resumptîon (reprise des paiemens en espèces) ou de l’ajourner indéfiniment. Le gouvernement défendit énergiquement la date du 1er janvier 1879, et réussit à la faire maintenir, mais quant aux greenbacks, il soutint vainement que leur existence était inconstitutionnelle, qu’ils avaient constitué une forme d’emprunt que des circonstances inexorables avaient pu excuser, mais que leur conservation, après que ces