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trouvait de régler ce différend avec un pouvoir sans cesse contesté et des présidens sans stabilité, l’Angleterre, fortifiait le port de Barima, sur lequel elle avait indûment fait main basse et qui, situé sur la rive vénézuélienne du Cuyuni, lui ouvrait le territoire de l’Yuruari. Le représentant de la république à Washington, M. Bolet Peraza, avait officiellement protesté, au nom de son gouvernement, contre cette prise de possession, et invoqué l’appui des États-Unis qui, adoptant comme mot d’ordre de leur politique extérieure : l’Amérique aux Américains, s’opposaient à toute ingérence de l’Europe dans le double continent.

Dans sa note diplomatique, M. Peraza déclarait que le maintien de l’occupation anglaise serait plus dangereux encore pour l’Amérique que ne saurait l’être le contrôle d’une puissance européenne sur l’isthme de Panama. « Elle annulerait, écrit-il, les efforts que, sous l’influence des États-Unis, font les nations de l’Amérique du Sud pour resserrer leurs liens d’origine, unifier leurs intérêts et leurs destinées. Ces aspirations peuvent être mises à néant par la domination de la Grande-Bretagne sur les eaux d’un fleuve, qui lui permettra de peser d’un grand poids sur les États de l’Amérique méridionale et d’y faire prévaloir ses intérêts et son influence. » Il terminait en invoquant l’arbitrage des États-Unis pour trancher ce différend.

Dans notre précédente étude sur Balmaceda, nous avons montré le Chili oscillant entre les États-Unis et l’Angleterre, et, finalement, se tournant vers cette dernière. Au Venezuela, nous voyons se produire la même oscillation ; mais, par suite des circonstances que nous venons d’indiquer, l’orientation va se dessinant en sens inverse. Si peu vraisemblable que soit l’acceptation, par l’Angleterre, du cabinet de Washington en tant qu’arbitre, on peut encore espérer que la question en litige sera dénouée pacifiquement. Le rétablissement de la paix intérieure permettra d’en aborder l’examen, mais il importe que la paix se fasse et qu’un gouvernement régulier s’établisse.

Le dernier mot appartient au général heureux qui tient entre ses mains les destinées de son pays. Saura-t-il, justifiant les espérances de ses amis, se révéler le libérateur de sa patrie et le restaurateur de sa liberté reconquise, ou bien n’est-il, comme l’affirment ses ennemis, qu’un soldat habile dont l’ambition se borne à inscrire un nom de plus sur la liste déjà longue des dictateurs éphémères des républiques hispano-américaines ?


C. DE VARIGNY.