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dernière et triste affaire de Carmaux, avec tous ses incidens, n’est qu’une série d’incohérences, et que rien n’est fini, que ce n’est tout au plus qu’une crise palliée ou ajournée. Matériellement, si l’on veut, le travail a recommencé, les ouvriers ont repris le chemin de la mine. Moralement, politiquement, ce n’est pas une solution, — et cet arbitrage, dont s’est chargé au dernier moment M. le président du conseil, ce jugement de Salomon qui devait tout terminer, n’a servi qu’à mieux mettre en relief tout ce qu’il y avait de passions aveugles, d’idées fausses ou d’arrière-pensées dans cette agitation conduite par des artistes en sédition. La vérité est que, si la grève a cessé au moins en apparence, elle se survit par le mal qu’elle a fait, par les conséquences qu’elle peut avoir, et qu’à travers toutes les contradictions ou les déclamations, on en est encore à démêler ce qui en sera, à qui reste un avantage. Ce ne sont pas sûrement les ouvriers, comme ouvriers, qui ont la victoire. Ils en ont été quittes pour avoir le plaisir de marcher sous les ordres de M. Baudin, de M. Duc-Quercy, ou de recevoir la visite de M. Clemenceau, de M. Millerand ; par le fait, ils sont rentrés dans la mine sans avoir rien gagné pour leurs salaires, pour leur travail, après s’être préparé, par trois mois de chômage inutile, d’inévitables et cruelles misères. La victoire n’est point au gouvernement qui a laissé tout faire et n’a à peu près rien fait, qui n’est intervenu indirectement à la dernière heure que par un arbitrage repoussé avec colère ; elle est encore moins à la loi, à la justice, à la paix publique, ouvertement outragées et bafouées. La victoire, s’il y a une victoire, si l’on peut se servir de ce mot, elle n’est et elle ne peut être que pour cet esprit d’anarchie qui, depuis trois mois, a rempli ce malheureux petit pays, en prenant pour complice ou pour dupe une population égarée, qui n’a fait les affaires que de quelques meneurs allâmes de popularité, — et ici on touche vraiment à une scène bizarre, comique ou cynique, de cette représentation socialiste donnée avec des acteurs de Paris voyageant en province !

Chose singulière ! M. le président du conseil ou, si l’on veut, M. Loubet est invoqué comme arbitre par les chefs mêmes ou les représentans de l’agitation gréviste. À peine cependant a-t-il rendu sa sentence, la plus bénigne des sentences, le jugement qu’il vient de prononcer soulève la fureur des meneurs de la grève et est brutalement désavoué. La raison principale, c’est que M. Loubet, dans son rôle d’arbitre, n’a pas cru devoir de sa propre autorité se mettre au-dessus des arrêts de justice, innocenter des ouvriers condamnés par le tribunal d’Albi, et obliger la compagnie à les reprendre. Les délégués officiels des mineurs, M. Clemenceau, M. Pelletan, M. Millerand, sont les premiers à diffamer, à bafouer l’arbitrage et l’arbitre, à conseiller à leurs cliens de ne point se soumettre, de persister plus que jamais dans leur grève. C’est un véritable déchaînement de violences et d’injures. Puis tout