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provinces orientales de l’Allemagne, se retourne pour jeter un regard d’envie sur la constitution de la propriété rurale en France. Ce semble être le caractère particulier de l’agitation sociale en Prusse de n’être point limitée aux problèmes de l’organisation industrielle, mais de tendre de plus en plus à se compliquer d’une crise agraire.

Quelle mine d’or pour les socialistes s’ils songeaient à l’exploiter ! écrit M. Knapp. Et, de leur côté, les orateurs politiques n’ont point oublié l’agitation agraire de 1848. La plaie semble toujours ouverte : il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark. Les travailleurs ruraux de l’est émigrent en masse, de moins en moins disposés à supporter la vie misérable et dépendante qui leur est faite. L’aristocratie foncière, les agrariens se plaignent. Le socialisme annonce le développement de sa propagande parmi les populations rurales ; il y a déjà pénétré, et l’Etat s’inquiète.


I

Il y eut en Allemagne, et jusqu’au cours du XIXe siècle, des serfs, on pourrait dire des esclaves, dont les économistes allemands ne craignent pas d’assimiler la condition à celle des noirs employés par les planteurs aux colonies.

C’est tout récemment seulement qu’on est parvenu à dégager, à préciser en Allemagne la condition des personnes, au cours du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle, à reconnaître les états de fait et de droit très divers englobés sous le nom commun de servage. Ce n’est pas l’un des moindres mérites de M. Knapp d’avoir dissipé une confusion qui a troublé plus ou moins la plupart des travaux historiques de ses prédécesseurs et d’avoir, pour ainsi dire, fait le vocabulaire du servage.

Il a reproché lui-même avec raison à l’histoire allemande d’avoir été, jusqu’à une époque récente, trop antiquarisch, c’est-à-dire d’avoir pris volontiers pour des réalités les institutions dont elle rencontrait les traces dans les ordonnances ou sur les parchemins.

Mais il impute aussi, en faisant la critique des méthodes historiques, une part de responsabilité dans ces obscurités au libéralisme, pour lequel les Allemands, l’école historique allemande presque entière, semblent éprouver un éloignement et un dédain si marqués. Le libéralisme, entraîné par l’empressement superficiel de l’esprit de parti, aurait englobé dans une réprobation sans discernement, sous le nom de servage, les conditions les plus diverses. Il aurait célébré avec une légèreté condamnable les manifestations humanitaires, mais stériles, de souverains qui supprimaient