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II.

Les deux voyages d’Eugène Burnouf, en Allemagne et en Angleterre, sont comme une halte dans cette vie, vouée à un travail de tous les instans. Nous sommes devenus de grands voyageurs, et ces deux visites à Londres et à Heidelberg nous font un peu l’effet du voyage par mer de Paris à Saint-Cloud ; mais c’est là ce qui en fait le charme. Rien n’est vivant comme cette peinture de deux pays si différens, parce que tout y est naturel ; il dit les choses comme il les voit, et ses jugemens sur les hommes et sur les peuples se mêlent au récit de ses aventures de voyage et à ses descriptions des pays qu’il traverse. Ses remarques sont intéressantes, même dans ce qu’elles ont parfois d’un peu absolu, à cause de leur caractère spontané et original ; on y sent toute la fraîcheur d’impressions d’une âme vierge.

Il est certain qu’Eugène Burnouf a plus de sympathie pour les Allemands que pour les Anglais. Peut-on lui en vouloir, et peut-on souvent se défendre de ce sentiment à l’égard d’un peuple qui semblait si bien fait pour s’entendre avec nous ? Mais nous avons été trompés, et tandis que nous allions chez eux avec des pensées de paix et de fraternité scientifique, ils préparaient la guerre. C’était son premier voyage, et il est saisi par le spectacle de cette Allemagne, « jouissant un peu grossièrement des biens que la terre lui donne, artiste, buveuse, hospitalière, savante. »

La beauté du pays de Bade l’enchante : « Quand viennent les montagnes boisées au milieu desquelles est assis Bade, avec ses maisons vertes et jaunes, si luisantes et si propres, ses beaux hôtels, ses pavillons au milieu des arbres, alors il faut laisser échapper des exclamations de surprise ; ou bien on est de bois… Rien ne vaut pour moi cette belle nature, et cette féerie du luxe de l’Europe jetée au milieu du plus beau site. » Tout est neuf pour lui, le Rhin, et le bateau à vapeur sur lequel il le descend, ce « tuyau fumant, énorme, courant avec une rapidité qui étonne sur un fleuve profond, immense, rapide, encaissé entre des rochers à pic, sur les sommets desquels sont nichés d’anciens châteaux, souvent très beaux, toujours très pittoresques. » Darmstadt, Heidelberg, Francfort, lui inspirent des tableaux qui ne sont pas moins vivans.

Ce charme de la nature était rehaussé à ses yeux par le commerce d’hommes éminens par l’intelligence et la bonté du cœur. Il était heureux de rencontrer de la sympathie pour sa personne et de se trouver au milieu de savans connaissant son nom et ses tra-