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la condition des populations rurales empira singulièrement vers la fin du moyen âge, lorsque l’accroissement du bien-être général fit paraître aux déshérités la vie plus dure, lorsque la noblesse dut renoncer au monopole du métier des armes. C’est de là, de la fin du XVe siècle, que datent les guerres des paysans. C’est de là que date surtout une évolution radicale dans la condition sociale des populations agricoles.

Le seigneur ne fait plus la guerre, et il lui faut plus d’argent pour vivre ; il le demandera à son domaine foncier. Il reprendra la terre au paysan et organisera aux dépens de l’une et de l’autre une exploitation que l’état du droit et des mœurs, que le pouvoir social de la noblesse rendront souvent exorbitante.

Ici, — c’est le cas de l’Angleterre, — le seigneur noble affaiblit le lien qui rattache le tenancier à la terre ; il en fait un simple fermier. C’est sous forme de fermage annuel qu’il recueille les profits de la terre. Vers la fin du XVIe siècle, le sol de l’Angleterre se constitue en grandes fermes qui ont rendu impossible l’organisation de la petite propriété rurale.

Ailleurs, — c’est le cas dans une partie de l’Allemagne ; en Thuringe, en Hanovre, dans une partie de la Saxe électorale, — les relations quasi-patriarcales du moyen âge subsistent jusque dans le XIXe siècle. Les tenanciers restent dans les mêmes relations de dépendance vis-à-vis des propriétaires fonciers qui vivent sur leurs terres et demandent des redevances relativement modiques. La transition à la constitution de la petite propriété rurale sera d’autant plus facile ici que le lien qui rattache le petit tenancier à la terre ne se sera pas affaibli. Il se sera plutôt consolidé, et les redevances apparaîtront comme un legs du moyen âge, comme un reste d’oppression surannée facile à faire disparaître.

L’une et l’autre évolution se sont accomplies en France ; tandis que le petit tenancier y acquérait de très bonne heure la propriété, le seigneur, là où il conservait de grands domaines, les constituait en fermes plus ou moins étendues et s’en allait, s’il pouvait, vivre à la cour de leurs produits ou des faveurs royales.

En Prusse, dans l’Allemagne du nord-est, un phénomène très particulier se produit et tout différent du précédent. Le seigneur noble ne peut plus faire de la guerre son occupation unique. Il se rejette sur sa terre ; il en devient lui-même l’exploitant ; il va demander des profits directs, des bénéfices à cette exploitation. Il devient un industriel agricole, et les phénomènes qui apparaîtront alors dans l’organisation de l’agriculture prussienne ont une frappante analogie avec ceux que présente le développement de l’industrie contemporaine.