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À TRAVERS LA MACÉDOINE SLAVE.


III. — RESEN, KOSHANI.

Au petit jour, nous quittons le khani, où les chants de deux muletiers valaques, à défaut de la vermine, nous auraient toute la nuit tenus éveillés. Dans les rues, les paysans des environs, accourus pour voir enfin cet archevêque, dorment en tas sous leurs capes brunes. Les femmes, assises par terre, les coudes aux genoux, filent déjà. Autour de grands feux, soixante ou quatre-vingts zaptiehs. La révolte des Dibres est terminée ; l’armée va rentrera Monastir, et l’avant-garde est arrivée cette nuit. Uniformes en haillons, fusils de tous systèmes, mines misérables et inquiétantes, ce sont des irréguliers albanais, que le gouvernement fournit d’armes et de poudre, mais qui doivent en retour surveiller les passages d’Albanie en Macédoine. Le muletier ne s’aperçoit que trop, hélas ! de cette surveillance.

Le bazar est fermé. La fraîcheur du matin aigrit les violentes odeurs du quartier au poisson. Le coin des platanes, des estrades, des cafés, des barbiers, est désert. Nous nous retrouvons sur la grande route, entre les lignes de murs en terre séchée, les maisons de bois, les balcons ajourés, les fenêtres grillées, les jardins, les peupliers et les cyprès du quartier musulman. Perdues dans la verdure, parmi les vergers que séparent des haies ondulantes de roseaux, les dix-huit mosquées défilent, — dix-huit huttes de terre crépies et badigeonnées de fresques. Les plus anciens de ces djamis datent de trente ans à peine. Les musulmans les ont échelonnés dans leur retraite, à mesure qu’ils abandonnaient la ville haute aux Bulgares et qu’ils s’éloignaient vers Monastir, comme afin d’être plus tôt prêts au dernier exode. Où sont les belles mosquées de pierre, les coupoles, les dômes et les cloîtres de Pékini et d’EIbassan ? L’Islam à Okhrida ne semble plus installé à demeure : il est à peine campé.

Entre la ville et les monts de l’orient, dort une étroite plaine, ancien golfe du lac, unie, humide, où nos chevaux plongent jusqu’au ventre dans un brouillard compact. Les montagnes émergent à trois kilomètres devant nous, lourdes masses rondes, sans formes et sans profil. Ces trois ou quatre cents mètres de roches crétacées tombent en longues cascades de bosses. Nulle part, une façade droite ni un talus régulier. La route européenne va un peu au nord chercher le passage de Lieskovetsi. Mais tout droit vers l’est, piétons et cavaliers suivent l’ancienne piste et pénètrent dans la montagne, sur le flanc d’une ravine que les orages ont creusée en plein cœur de la roche friable. Le sol sonore est d’une blancheur de lait. La dent adroite des chèvres y cher-