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jamais aboutir à une entente. Mais alors notre escadre française n’était pas allée à Cronstadt, le tsar n’avait pas encore écouté, debout, la Marseillaise.

Les échos de l’enthousiasme russe pour la marine française firent immédiatement comprendre au gouvernement austro-hongrois que les fers allemands devaient avoir du bon et au gouvernement allemand que les céréales hongroises pourraient rendre quelque service en Allemagne. « Si je fais à quelqu’un une guerre économique, c’est que j’ai l’intention de l’affaiblir ; or notre intérêt est, au contraire, de fortifier nos alliés. Je crois qu’il ne nous est pas permis de léser d’une façon durable les intérêts d’États avec lesquels nous entretenons des relations si amicales. » Avec de tels sentimens, on trouve aisément les compromis qui conduisent droit à l’accord définitif : « Les gouvernemens de ces États, en concluant ces traités, ont fait un commun effort pour trouver les moyens de faciliter un échange de marchandises qui ne lèse les intérêts essentiels d’aucun de ces États et qui, au contraire, les fortifie même au prix d’un peu de désagrément ressenti sur un point ou sur un autre. »

Il n’échappera pas en quels termes galans sont indiqués les sacrifices imposés dans les trois États à certains grands intérêts. Les industriels de la Cisleithanie affirment qu’on a immolé leur cause à la prospérité des agriculteurs de Hongrie. En Allemagne, c’est le parti agraire qui s’est déclaré voué à la ruine. Les uns et les autres ont vraiment mauvaise grâce à se plaindre ; qu’importe « un peu de désagrément » lorsque l’intérêt patriotique est en jeu !

Au point de vue économique, l’Allemagne avait à parer à un péril immense, qu’avait engendré le protectionnisme à outrance établi par M. de Bismarck. Les débouchés de son industrie allaient se resserrant d’année en année. L’expérience avait donné au début des fruits brillans, mais d’un éclat trompeur. L’industrie se développa avec une force remarquable, tandis que l’excès des droits, provoquant des représailles, fermait les issues par où pouvaient s’écouler les produits de cette industrie tout à coup si florissante ; le système du tarif autonome et quasi prohibitif paralysait l’exportation. Protectionnistes de France, cette leçon peut vous servir ; vestra res agitur.

« Nous importons chaque année un peu plus de 4 milliards et nous n’exportons guère plus de 3 milliards : différence en chiffres ronds, 800 millions. Si nous importons pour 800 millions de plus que nous ne vendons, cela indique que nous ne serons pas en mesure, à la longue, de pourvoir à nos besoins et de soutenir le mouvement de notre industrie. » C’est la pure théorie mercantile ; on