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des procédés, l’invention des machines, tendent à l’abaissement progressif des prix des objets manufacturés. Le producteur, pour maintenir sa situation et conserver ses bénéfices, est obligé chaque année de vendre une plus grande quantité de marchandises. Comment le pourrait-il si les tarifs de l’étranger, établis en retour des nôtres, entravent ses ventes habituelles, s’il est obligé d’écouler son stock entier, sans cesse grossi, dans les limites du pays où vivent 38 millions d’habitans qui resteront dix années, vingt années, à ce chiffre de 38 millions ?

Les États-Unis ont pu braver toutes les prédictions sinistres lancées par les libres-échangistes des deux mondes ; ils ont prospéré au milieu d’une véritable orgie de protectionnisme. Mais leur succès, le développement prodigieux de leur fortune, sont dus à d’autres causes que la protection. Ce pays a eu pour lui depuis un siècle un accroissement colossal de population ; il est immense, il possède tous les climats ; ses terres sont propres, selon la latitude et l’élévation, à tous les genres de culture ; il embrasse quarante-quatre États entre lesquels n’existe aucune frontière douanière ; d’un bout à l’autre de son gigantesque territoire, toutes les denrées, toutes les marchandises circulent sans avoir jamais à payer le moindre tribut. Que l’on se figure l’Europe presque entière formant un marché commun, où il ne serait perçu de droits qu’à la périphérie, tandis qu’à l’intérieur la circulation serait absolument libre, un marché en outre, où, par l’immigration et la natalité, la clientèle se développerait dans la proportion de 25 à 30 pour 100 par période de dix années. Dans ces conditions, le protectionnisme peut devenir un régime discutable ; s’il ne produit pas tous les bienfaits que ses partisans lui attribuent, il n’entraîne pas les maux que d’autres en pouvaient redouter ; la production nationale, quels que soient ses progrès, est sinon devancée, au moins suivie par l’essor de la consommation intérieure.

Comment en serait-il de même chez nous, où les espaces sont si restreints et le chiffre de la population stationnaire ? Ne sait-on pas, d’ailleurs, que la grande masse de l’exportation américaine se compose de produits alimentaires, tandis que nous exportons principalement des marchandises manufacturées ? Celles-ci ne sont point indispensables, alors que l’on ne se passe pas de ceux-là.

L’exemple des États-Unis ne nous est donc pas applicable. Ce qui a été chez eux presque inoffensif serait délétère pour nous. Mais il faut croire que, même au-delà de l’Océan-Atlantique, on ne considère plus de très hauts tarifs comme simplement inoffensifs. Le résultat des élections qui viennent d’avoir lieu montre en quelle estime est tenue, après deux années d’expérience, dans la patrie