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de M. Mac-Kinley, la politique protectionniste à outrance. M. Cleveland, pour avoir timidement rappelé que le tarif devait avoir surtout une destination fiscale et ne donner aux industries que le minimum de protection indispensable, a été élu par 300 voix du collège électoral contre moins de 150 données à M. Harrison. M. Blaine cependant, au temps où il était secrétaire d’État, avait cherché à corriger par des traités de commerce les exagérations du tarif général. Sous le nom de réciprocité, il négociait des arrangemens avec diverses puissances et en avait déjà conclu quelques-uns. Les États-Unis se souciaient si peu du fameux isolement qui charme nos protectionnistes, que les chefs du parti républicain rêvaient une union douanière embrassant toutes les républiques du nouveau continent.

Que la majorité de la chambre ait donc le courage d’avouer son erreur ; qu’elle n’ait plus d’anathèmes contre le système des traités à tarifs, où il nous faudra sûrement revenir. La Suisse n’est pas seule en cause à l’heure actuelle. Selon que nous aurons établi nos relations avec elle, il sera possible ou non de nous entendre avec l’Espagne, l’Italie et la Belgique. Un journal suisse, le Courrier de Genève, examinait il y a quelques jours ce qui arriverait si les chambres françaises rejetaient la convention commerciale ou, plus exactement, le projet de loi révisant le tarif minimum : « Il arrivera, dit-il, que, la Suisse augmentant ses droits d’entrée, nombre de produits français ne trouveront plus leur place à Genève. Pour les remplacer, les Genevois chercheront d’autres centres d’approvisionnement, du côté de l’Allemagne d’abord, bien entendu, et ensuite vers l’Italie. Et puis, ce qu’ils auront de mieux à faire, ce sera, pour les produits manufacturiers, de créer de nouvelles industries que la grande force motrice dont Genève est dotée leur permettra facilement d’établir. Qu’aura gagné la France dans cette affaire ? Quelques wagons de bois du Valais, quelques centaines de fromages de Gruyère, quelques caisses de soieries et de broderies de Zurich et de Saint-Gall n’auront pas franchi ses frontières ; mais, en revanche, combien de négocians français n’enverront plus leurs voyageurs faire la place en Suisse ! » La conclusion est qu’une antipathie pour la France naîtra nécessairement de cet état de choses. Il ne faut cependant point, même pour la beauté d’une expérience, laisser naître et se développer cette antipathie.

Nos législateurs seraient-ils arrêtés par la pensée que l’amour-propre national est engagé dans cette affaire ? Ils auraient bien tort, et, pour s’en convaincre, ils n’ont qu’à considérer combien peu l’esprit méthodique a eu de part dans l’établissement des droits nouveaux, et que ces droits, pour la plupart, ont été adoptés