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ils me disaient qu’il ne demeurait personne sur qui ils comptassent autant. » Au moment du départ, le comte d’Anjou s’abandonna au plus violent désespoir ; était-ce le regret de n’avoir pu trouver l’occasion de s’illustrer ? Était-ce simplement la douleur qu’il ressentait à se séparer de son frère ? La situation de ceux qui restaient n’était pourtant pas bien enviable. Trop peu nombreux pour agir d’une manière efficace, ils allaient consumer leur temps en longs repos, en combats sans éclat, en négociations presque toujours stériles. Plus d’un dut regretter de n’avoir pas suivi les princes. Quant à Joinville il trouvait dans sa foi le plus sûr des réconforts et dans les conseils de son maître le plus puissant soutien de sa foi. Certes, on a vu combien cette vertu était déjà profondément enracinée chez lui ; mais à partir de cette traversée où se resserra si fort l’intimité du roi et du jeune sénéchal, elle s’échauffa et devint plus féconde au contact de celle de saint Louis. « Faire de bonnes œuvres et croire fermement, » telle était la règle de conduite que celui-ci donnait à son ami, et le commentaire qu’il y ajoutait était presque aussi simple. Faire de bonnes œuvres, c’était ne faire et ne dire que ce qu’on ne craindrait ni de faire ni de dire devant tous ; croire fermement, c’était mettre toute sa volonté à accepter sans réserve les vérités prophétisées et prêchées aux croyans et aux mécréans. Hors de là point de salut.

Sous l’influence de ces idées, « pour exciter, comme il le dit lui-même, les gens à croire ce dont ils ne se peuvent dispenser, » Joinville employa les loisirs de son séjour en Acre, après le départ des princes, à composer une sorte d’illustration du Credo par des rapprochemens avec les prophéties et par des commentaires. Afin de mettre son ouvrage à la portée de tous, il le fit accompagner de peintures destinées moins à l’orner qu’à frapper l’esprit de ses lecteurs en attirant leurs regards. Bien que dans quelques-unes de ces peintures l’auteur ait fait représenter des scènes telles que le jugement dernier ou la séparation des bons anges et des mauvais anges, il était loin de se former des choses surnaturelles la conception grossière et toute matérielle que ne peuvent dépasser les esprits les moins éclairés. On n’en peut douter en lisant le début de son œuvre : « Vous pouvez, y est-il dit, voir ci-après peints et écrits les articles de notre foi par lettres et par images, comme on peut peindre selon l’humanité de Jésus-Christ et selon la nôtre. Car la divinité et la Trinité et le Saint-Esprit, main d’homme ne peut les peindre. » Quelle que fût néanmoins l’impuissance des moyens dont l’homme peut disposer, Jean reconnaissait la nécessité d’agir sur les sens pour parvenir jusqu’à l’âme. Sans doute, en concevant un tel plan, il ne faisait que suivre l’usage courant à cette époque pour les ouvrages de grande vulgarisation ; les résumés