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mains. Tout heureux de sa trouvaille, il ne crut pouvoir mieux faire que de la dédier à François Ier. « Voyant, dit-il, l’œuvre estre royale et chrestienne, m’a semblé que la vous dédier seroit l’approprier à son droict poinct : car telles gestes connues du roy S. Loys estoient dignes de votre royale présence. Et aussi que pour le grand plaisir que Vostre Majesté prend en la continuelle cognoissance des histoires, en quoy, entre autres choses, avez voulu surmonter tous les princes vivans, me sembloit que l’œuvre d’elle-mesme estoit vostre… »

À peine tirée de l’oubli, l’Histoire de saint Louis ne tarda pas à se répandre : le XVIe siècle n’était pas achevé qu’il en avait paru quatre éditions et, dès 1567, elle était traduite en castillan. Ce succès était peut-être dû en partie au zèle malencontreux du premier éditeur qui, choqué de ce « que l’histoire estoit ung peu mal ordonnée et mise en langage assez rude, » et désireux de la mettre à la portée du plus grand nombre, s’était avisé d’en modifier la langue et d’en altérer l’ordre de manière à défigurer encore l’œuvre qui ne lui était parvenue que par un manuscrit très défectueux. On juge du résultat. Malgré les améliorations introduites dans les éditions successives de Ménard, de Du Cange, de Melot, Sallier et Capperonnier, dans celles des Historiens de France et de M. Francisque Michel, grâce à la découverte de nouvelles copies, la disparition du manuscrit original empêchait l’établissement d’un texte sans défaut, lorsqu’une des lumières de l’érudition française, Natalis de Wailly, à qui l’on devait déjà plusieurs éditions de l’Histoire de saint Louis dans lesquelles il avait pu fixer l’ordre et les limites de l’ouvrage, en conçut une nouvelle qui, surtout au point de vue de la langue, devait être définitive. Poussant la conscience jusqu’au scrupule le plus minutieux, il ne se contenta pas de dresser un texte qui fût conforme aux règles générales du français du XIVe siècle ; il voulut encore que ce texte reproduisît jusqu’aux moindres nuances dialectales, jusqu’aux moindres particularités orthographiques qui pouvaient caractériser la langue de l’historien de saint Louis. Pour cela, il rechercha les nombreuses chartes françaises émanées de cette chancellerie de Jean de Joinville, dont les clercs avaient recueilli les dictées du sénéchal ; il en établit la grammaire ; puis, à l’aide des règles qu’il était ainsi parvenu à fixer, avec la patience et la sagacité d’un Cuvier faisant revivre à nos yeux, sans autre repère que quelques débris d’ossement, les monstres des âges disparus, il entreprit de restituer mot par mot l’œuvre entière de Joinville. Grâce à cet immense labeur, nous possédons l’Histoire de saint Louis sous une forme aussi correcte, sinon plus correcte encore que celle du texte primitif, et qui