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elle nous garantit contre le salut possible d’un coup de fusil, et, d’autre part, montre que nos intentions sont pacifiques. Un second ohé ! fait paraître l’homme que nous avons aperçu.

Désidério a soulevé son chapeau, l’agite, marche en avant. Les deux Indiens s’abordent, se prennent la main droite et, par un mutuel mouvement de va-et-vient, se l’appuient sur le front, puis sur le cœur. Ils causent, et semblent ignorer que nous existons, Dizio et moi. Enfin Désidério, qui a dû fournir sur nous de favorables renseignemens, élève sa coiffure en signe d’appel. Dizio, qui m’a rejoint en trois bonds, me dit aussitôt l’œil brillant, en me montrant sa merveilleuse denture :

— Nous allons voir la cihuatl !

Il veut dire la femme ; ô jeunesse !


II.

J’ai, en l’abordant, tendu la main à celui dont je me tiens déjà pour l’hôte, qui, respectueusement, n’a fait que toucher mes doigts. C’est un Indien mistèque d’une quarantaine d’années, d’assez haute taille, maigre, sec même, dont les cheveux, véritable phénomène chez un homme de sa race, sont déjà tout blancs. Ses traits sont graves, doux, tristes, comme ceux de tous les hommes qui vivent dans les solitudes, et c’est d’une voix basse, terne, qu’il me souhaite la bienvenue. Désidério l’a déjà instruit que je recueille des plantes, des insectes, des oiseaux, que je suis un Ticitl, c’est-à-dire un médecin ou un sorcier, au choix. Dizio n’a pas tendu la main à Mécatl, — c’est le nom de notre voisin, — il s’est incliné en se déclarant son serviteur et celui de Dieu. Mécatl, comme troublé par la déférence du jeune homme, a murmuré quelques mots que je n’ai pas compris.

La langue que parlent Désidério et Dizio n’a aucune ressemblance avec le mistèque, c’est donc en espagnol que mes guides et notre hôte doivent échanger leurs idées, à ma grande satisfaction.

Nous traversons le champ de cotonniers à la gauche duquel se trouve une plantation de maïs, puis une de cannes à sucre. Le terrain se relève, et nous apercevons une vaste cabane qu’un gigantesque cèdre couvre de son ombre. Sous les longues branches de l’arbre flambe un feu clair, autour duquel nous prenons place. Dizio, qui sait quel supplice est pour moi la position accroupie, m’offre pour siège un billot. Je cause avec Mécatl ; il y a quinze ans qu’il est venu s’établir dans ce désert, et, depuis lors, nous sommes les seuls hommes qu’il ait vus. Ce détail est suivi d’un long silence ; le vieillard, — ses cheveux d’argent me portent à lui