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donner cette qualification, — demeure absorbé. Il semble avoir perdu l’habitude de parler, et son regard est comme intérieur.

— Où vous approvisionnez-vous d’eau ? a demandé mon guide.

— Dans la forêt, à deux cents pas d’ici.

— Une mare ?

— Non, une source.

J’interroge Mécatl sur les gros animaux qui peuplent la savane et la forêt, et il me nomme, pêle-mêle, les tigres, les taureaux, les pumas, les fourmiliers, les cerfs, les singes, les sangliers, les iguanes, les écureuils, les dindons sauvages. Dizio, qui toujours avant de parler demande la permission de le faire, en sa qualité de jeune homme, s’informe si les tigres sont communs, et n’apprend pas sans déplaisir que notre hôte en voit à peine un par an. En revanche, les ours, — les Indiens donnent ce nom au fourmilier, — sont, paraît-il, assez faciles à trouver.

Je rappelle à Désidério, en me levant, que notre déjeuner n’est pas encore conquis, et je demande à Mécatl si nous avons plus de chances de rencontrer un gibier en côtoyant la savane qu’en rentrant dans la forêt.

— On nous prépare à manger, dit-il, en se tournant vers la cabane, et je vous prie d’accepter votre part de mon modeste repas.

C’est avec anxiété que Dizio me regarde pour écouter ma réponse, et il se rassied souriant en m’entendant accepter.

Nous sommes plus que jamais dans les nuages, dans un brouillard qui se résout en pluie fine, le véritable tchipi-tchipi, La prudence, l’hygiène, nous imposent la station près du foyer, que notre hôte alimente sans cesse. La source dont a parlé Mécatl naît, paraît-il, sur le bord d’un ravin au fond duquel elle va rejoindre un ruisseau. Je pressens de curieuses découvertes, et manifeste mon désir de visiter ce lieu.

— Je vous y conduirai dans l’après-dîner, me dit mon hôte, le sol sera moins mouillé qu’à présent et moins dangereux.

— Combien de jours durera ce vent du nord, le savez-vous ?

— Il est sans force, et j’espère que nous reverrons le soleil après-demain.

En ce moment, sur le seuil de la cabane, se montre une longue femme au visage ridé, bien qu’encadré de cheveux noirs et luisans. Elle est vêtue d’une sorte de tunique de coton écru pourvue de larges manches, ornée de dessins bizarres tracés à l’aide de fils rouges. Ce vêtement national, nommé huépil s’arrête à la hauteur où commence la broderie à jour d’un jupon. La matrone nous sa- lue d’un ave Maria, parle en langue mistèque à notre hôte qui se lève et se découvre pour lui répondre. Un mot, que je saisis, m’apprend qu’elle est sa mère. Elle rentre dans la cabane, et je