Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler la langue des hommes, veut, comme eux, montrer son savoir. Désidério et Dizio se sont mis à rire. Moi, je me suis tourné vers Mécatl ; il redit d’une voix si morne la phrase que l’oiseau babillard lui renvoie, que Désidério et son fils ne rient plus.

Nous suivons, entre des ronces aux fleurs roses, près desquelles viennent s’épanouir des clochettes multicolores de Userons, un sentier étroit bordé de salsepareilles. À l’improviste nous nous trouvons devant un large et profond ravin aux pentes tapissées d’arbustes, de fougères géantes, d’orchidées. Un filet d’eau court au fond de cet abîme d’une profondeur de 400 mètres au moins, et nous entendons à peine son murmure. Tout un peuple d’oiseaux divers est établi en ce lieu qui, aux heures où le soleil brille, doit être plein de cris, de chants, de rumeurs, de bourdonnemens. Je côtoie le précipice, j’admire. Que de récoltes, que de trouvailles probables de plantes, de reptiles, d’insectes et d’oiseaux dans ce coin merveilleux, inattendu ! Mais le sentier que nous suivons fait un coude, descend oblique sur la paroi de l’énorme coupure. Bientôt, en face de moi, se montre une plate-forme bordée de rochers, sur l’un desquels est appuyée notre jeune hôtesse, Nitla. Autour d’elle voltigent de minuscules colombes, à peine grosses comme des moineaux, auxquelles elle distribue des graines.

Elle nous a entendus, disparaît un instant pour reparaître bientôt sur le sentier que nous suivons. Sur sa tête, autour de laquelle ses longues nattes enroulées forment une couronne, est placé en équilibre un grand vase de terre rouge. Mécatl et Désidério s’accrochent à un arbrisseau et se tiennent à demi suspendus au-dessus du ravin pour laisser passer la pourvoyeuse d’eau, car le sentier est étroit. J’imite la manœuvre et suis imité par Dizio. Droite, les yeux à demi clos, souriante et de nouveau rougissante, Nitla monte vers nous. Elle a relevé un de ses bras pour soutenir ce que je nommerai poétiquement son amphore, et sa large manche, retombée, laisse voir son bras nu, rond, d’une perfection classique. Elle passe, elle nous frôle, lente, d’un pas cadencé, hiératique. Mécatl et Désidério ont repris leur marche en avant, Dizio et moi, moins pressés, nous sommes restés sur le sentier, tournés vers la belle fille. Le devine-t-elle ? Je le crois, car elle fait volte-face. Ses paupières, relevées cette fois, nous permettent de voir le regard velouté de ses longs yeux, la ligne parfaite de ses sourcils, l’harmonie de ses traits fins. O la belle, la belle fille ! Elle a disparu que Dizio et moi regardons encore ; elle nous a laissé son image dans les yeux.

Je suis sur la plate-forme d’où les colombes se sont envolées, devant un bassin d’eau claire qui suinte d’une voûte de pierre, bassin naturel dont le trop-plein déborde sur la pente et va, sans