Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et Nitla aime Dizio, répondis-je.

— Qui vous l’a dit ?

— Eux-mêmes ; et je suis chargé, par ton fils, de t’en prévenir. Pourquoi prends-tu cette mine contristée ? Tu auras une bru charmante, déjà pleine de prévenances pour toi.

— Oui, Nitla est bonne, est belle. Seulement, qu’est-ce que son père ? pourquoi est-il venu demeurer ici ? pourquoi a-t-il abandonné son village ?

— Par amour de la solitude, et ce cas est commun dans ton pays.

— Voulez-vous me rendre le service, señor, de vous mettre en route ce soir ?

— Tu sais que, si nous partons, Dizio ne nous suivra pas.

— Il ne m’a jamais désobéi, répond l’Indien avec autorité.

— Mais aujourd’hui il est homme et le sait, car l’amour le tient.

Nitla, par sa beauté, a fait de lui son prisonnier.

— Vous a-t-il dit qu’il ne partira pas ?

— Il m’a dit qu’il veut épouser Nitla, ou mourir.

— On ne meurt pas d’amour.

— Tu te trompes ; on meurt de la langueur qu’il amène. Voyons, ils sont si beaux, ces deux jeunes gens, que je voudrais les voir heureux. Tu crois à la Providence ; n’est-ce pas elle qui nous a conduits ici, puisque, raisonnablement, nous devions passer près de ce lieu sans nous douter de ce qu’il cachait. Veux-tu que je cause avec Mécatl, que je l’avise de ce qui se passe, que je lui demande des explications ?

— Prenez garde ; j’ai le pressentiment…

— Parle donc !

— J’ai le pressentiment qu’il est un criminel, qu’il cache ici une « honte. »

— D’où te vient ce soupçon ? me suis-je écrié.

— De ses façons d’être.

— C’est juger à faux et aller un peu loin. En tout cas, Nitla n’est pas une criminelle.

— Vous êtes contre moi ? me demande mon guide d’un ton découragé.

— Jusqu’à nouvel ordre, oui. Dizio et Nitla m’intéressent. Attends, je vais aller causer avec Mécatl, lui apprendre la vérité, car il faut qu’il la connaisse. Après cet entretien, je reviendrai te dire partons, ou restons.

— Faites, vous n’êtes pas un enfant.

En cet instant Dizio se lève, et, selon sa coutume, vient s’incliner devant son père, réclamer sa bénédiction. Comme de coutume aussi, Désidério trace une croix dans l’air et dit :