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un peu dans tous les genres ; on le fait « composer ; » on lui commande un psaume, une ode, une chanson. Il s’empresse de lui-même à écrire des stances : Pour les paladins de France, assaillans dans un combat de barrière ou un sonnet : Pour le premier ballet de monseigneur le Dauphin. Et, à la vérité, on ne lui donne encore ni pension, ni titre à la cour ; mais le grand écuyer, M. de Bellegarde, est prié de le coucher sur l’état de sa maison. Sa fortune était assurée désormais, et Marie de Médicis devait largement acquitter les promesses d’Henri IV. On nous pardonnera d’insister sur ces détails. Ils prouvent, en effet, comme on se méprendrait si l’on voulait voir dans la réforme de Malherbe rien de systématique ou de délibéré. L’occasion, ou plutôt, — car ce mot d’occasion laisserait trop de part au hasard, — les conjonctures ont tout fait. Mais ce qu’ils prouvent encore mieux, c’est l’analogie ou la conformité de l’œuvre du poète avec les intentions et le désir du prince. Ce que l’on a dit si souvent, et d’ailleurs si faussement de Louis XIV et de Bossuet, qu’en se voyant, ils se reconnurent, est littéralement vrai de Malherbe et d’Henri IV. L’ordre et la discipline, l’exacte probité que le roi s’efforçait d’introduire dans les affaires et dans les mœurs, Malherbe eut comme la mission de les faire, lui, régner pour la première fois dans l’empire du caprice même, et de la fantaisie.

Pour y réussir, il commence par éliminer de son œuvre et de sa conception de la poésie l’élément personnel. Nous avons de lui des vers d’amour, mais ce sont sans doute les moins bons qu’il ait faits. Les sujets qu’il préfère sont les sujets d’intérêt général et public, événemens historiques ou lieux-communs de morale. Au roi Henri le Grand, allant en Limousin ou : Au roi Henri le Grand, sur le succès du voyage de Sedan, tels sont les thèmes qui l’inspirent, et auxquels il excelle à mêler quelque chose de plus général qu’eux-mêmes : la considération de la fragilité des choses, ou l’éloge des joies de la paix :


La terreur de son nom rendra nos villes fortes,
On n’en gardera plus ni les murs ni les portes ;
Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Le fer mieux employé cultivera la terre ;
Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n’est pour danser, n’aura plus les tambours.


Pour la même raison, parce qu’il ne faut pas que le Moi du poète paraisse dans son œuvre, il s’interdit les digressions, ce « beau désordre » que Boileau louera dans Pindare, cette liberté d’ordonnance où, sous le dessin de l’ode, on peut surprendre l’émotion du poète encore palpitante. André Chénier, dans son commentaire.