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Telle était Madame Mère en dictant ses souvenirs, telle elle était aussi en écrivant ses lettres. On pourrait croire, à les lire, que l’histoire universelle ne se compose que de détails, de menus faits, d’incidens de famille ; elle n’y parlait que de ses affaires de ménage, de sa santé et de celle des siens, et il suffit d’en lire une pour les avoir toutes lues. « Ma chère fille, écrivait-elle le 23 juin 1813 à la princesse Élisa, je reçois votre lettre du ik de ce mois, avec celle que Napoléone m’a écrite, dont j’ai été fort contente. Je suis bien aise de savoir que vous n’y avez pas touché et que c’est en entier son ouvrage. Je trouve qu’elle fait des progrès rapides et sensibles, et je vous en félicite. » Elle annonce à la princesse qu’elle n’ira nulle part, qu’elle est à Pont-sur-Seine et s’y trouve bien, que ce séjour convient à sa santé comme à son caractère, qu’elle y est libre et tranquille, et qu’elle s’occupe de faire travailler à un jardin à l’anglaise. « Pauline a quitté Nice pour se rendre aux eaux de Grévaux, d’où l’on me mande qu’elle est arrivée heureusement et sans accident. La reine d’Espagne est partie pour aller à Vichy. La reine de Westphalie a renoncé à aller aux eaux de Forges ; elle les prend à Meudon. Elle est venue passer ici huit jours avec moi… Il y a longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles de Louis… Je sais que l’impératrice et le roi de Rome se portent bien. Je suis inquiète du silence de Caroline. »

Un peu auparavant, elle écrivait à cette même princesse : « Ma chère fille, j’ai reçu la jolie corbeille que vous m’aviez annoncée. Vous ne pouviez m’envoyer rien qui me fût plus cher. Par la même occasion, j’ai aussi reçu la petite caisse de cédrats, que j’ai trouvé excellens. Ma santé est assez bonne, malgré la continuité du mauvais temps. » Le 15 août 1830, elle écrira à l’une de ses brus, la reine Julie : « Je vous remercie beaucoup de la truite que vous m’avez envoyée ; elle était fort bonne. J’espère que l’air de la campagne vous fera du bien. Je vous prie d’embrasser vos enfans pour moi. » La plupart de ses lettres ont été brûlées ou ont disparu. Si on venait à les retrouver, selon toute apparence, les historiens n’y trouveraient rien à prendre, ni les amateurs de fine littérature rien à admirer. Madame Mère ne parlait jamais politique à ses correspondans, et jamais elle ne s’est piquée de savoir écrire, ni même d’avoir de l’esprit.

Et pourtant la biographie de cette femme dont la correspondance était, semble-t-il, si insignifiante, vient de fournir à M. le baron Larrey la matière de deux gros volumes de plus de cinq cents pages chacun[1]. Il l’avait vue à Rome déjà bien vieille et aveugle, et il avait remporté de sa visite au palais Rinuccini une ineffaçable impression.

  1. Madame Mère, essai historique par M. le baron Larrey, de l’Institut de France. Paris, 1892 ; E. Dentu.