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cara signora madre, répondit-il, votre fils ne sera jamais à la solde de l’ennemi. »

Madame Mère disait que sa vie avait fini avec la chute de l’empereur. Retirée à Rome, dans le palais Rinuccini, elle avait renoncé à tout, pour toujours. « Plus de visites dans aucune société ; plus de théâtre qui avait été mon unique distraction dans les momens de mélancolie. » Elle ne laissait pas de vivre, et quand on lui demandait son secret, elle répondait : « Je suis toujours sortie de table avec de l’appétit, et à chaque malheur, je me suis résignée à la volonté de Dieu. » Elle aurait pu répondre aussi qu’elle avait l’âme forte et que, par une grâce du ciel, elle n’avait jamais eu cette sorte d’imagination qui travaille dans le vide, creuse dans le noir et ajoute aux maux réels le supplice des mauvais rêves. Elle acquiesçait facilement à tout ce qui lui semblait un décret d’en haut, elle acceptait sans les discuter tous les arrêts d’une volonté suprême qui règle tout. Sa piété était candide ; elle demanda un jour à un prélat romain s’il croyait que Napoléon fût en paradis. — « Oui, madame, répondit le prélat, je le crois, mais je n’en ai pas encore acquis la certitude. »

Mais, si pieuse qu’elle fût, sa grande consolatrice était sa philosophie naturelle, qui se révèle de loin en loin dans quelques passages de ses lettres. « Je ne puis pas vous donner un peu de mon caractère, écrivait-elle au roi Jérôme, le 18 juillet 1821. Au premier instant d’une mauvaise nouvelle, je m’afflige, mais au second, j’espère plus que je ne me suis affligée. Faites-en autant ; s’il le faut, diminuez votre maison, détruisez-la même, en renvoyant tout le monde ; ce ne sera que plus honorable pour vous de lutter et de vaincre l’infortune. Je suis convaincue que Catherine a assez de grandeur d’âme pour s’accommoder au plus strict nécessaire… Une mère seule peut donner ce conseil. C’est alors que vous n’aurez plus rien à craindre et tout à espérer. » Deux ans plus tard, elle écrivait à Lucien : « Vous devez savoir depuis longtemps que la majeure partie de la vie humaine est composée de malheurs et de déboires. Cette connaissance doit nous donner la force de nous raidir contre tout ce qui peut nous arriver, surtout quand il n’y a pas de notre faute. » Elle aimait mieux parler qu’écrire. « Mon fils, disait-elle, a été renversé, il a péri misérablement, loin de moi ; mes autres enfans sont proscrits, je les vois mourir les uns après les autres… Je suis vieille, délaissée, sans éclat, sans honneur. Eh bien, je ne changerais pas mon existence contre celle de la première reine du monde. » Et elle ajoutait : « Il faut vivre selon sa position ; quand on n’est plus roi, il est ridicule de chercher à l’être. Les bagues ornent les doigts, mais elles viennent à tomber et les doigts restent. » Telle était la philosophie de Madame Mère, et on conviendra qu’en ce qui concerne l’art de se consoler, elle en savait autant que les plus grands philosophes.