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qui connaissait la réponse à faire et par l’esprit des assistans qui promenaient leur stylet sur l’alphabet.

M. J. Ochorowicz a fait de curieuses expériences sur une jeune femme hystérique de vingt-sept ans. « J’avais, dit-il, l’habitude d’endormir la malade tous les deux jours et de la laisser dans un sommeil profond (l’état aïdéique) pendant que je prenais mes notes. Je pouvais être certain, d’après une expérience de deux mois, qu’elle ne bougerait pas avant que je m’approchasse d’elle pour provoquer le somnambulisme proprement dit. Mais ce jour-là, après avoir pris quelques notes et sans changer d’attitude (je me tenais à plusieurs mètres de la malade, en dehors de son champ visuel, mon cahier sur les genoux et la tête appuyée sur la main gauche), je feignis d’écrire, en faisant crier la plume comme tout à l’heure, mais intérieurement je concentrais ma volonté sur un ordre donné[1]. » M. Ochorowicz ordonne ainsi à Mme M… de lever la main droite et la surveille à travers les doigts de la main gauche appuyée sur le front. À la première minute, rien ne se produit ; à la seconde, la main droite commence à s’agiter ; à la troisième, l’agitation augmente, la malade fronce les sourcils et lève la main. M. Ochorowicz lui ordonne ensuite de se lever et de venir à lui ; elle fronce les sourcils, s’agite, se lève lentement et avec difficulté, s’approche enfin, la main tendue. Et l’expérience continue ainsi, non pas sans insuccès, mais avec des succès fréquens.

Parmi les expériences qui peuvent le mieux nous faire croire à la réalité de la suggestion mentale, ou tout au moins nous faire douter de son impossibilité, il faut compter celles que M. Pierre Janet a faites au Havre avec M. le docteur Gibert. Elles ont pu être contrôlées par plusieurs observateurs, et M. Richet les a répétées à Paris. Je suis obligé, pour en laisser voir la valeur, d’en parler avec quelques détails.

M. Pierre Janet et M. Gibert endormaient souvent une femme de la campagne, Mme B.., illettrée, honnête, timide, d’intelligence saine et sujette à des accès de somnambulisme naturel. Un jour, M. Gibert, voulant endormir Mme B.., lui prit la main ; mais il était distrait, préoccupé, et le sommeil ne se produisit pas. Des expériences répétées montrèrent que Mme B… ne s’endormait que si l’opérateur concentrait sa pensée sur l’ordre de dormir. Il était naturel de rechercher si cette concentration de la pensée qui était nécessaire n’était pas aussi suffisante pour produire le sommeil. Mme B… étant à un bout de la chambre, M. Gibert se plaça à l’autre bout et voulut la faire dormir. Au bout de trois minutes, le

  1. J. Ochorowicz, ouvrage cité, p. 87.