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Ses filles, du moins, — comme si, par une mystérieuse sélection du sexe, elles avaient plus cruellement ressenti l’outrage séculaire fait à leur race, — ont moins brillé dans les jeux de la comédie que dans les péripéties de la tragédie et du drame. Singulière revanche de l’art ou du génie, c’est une fille de cette race déchue, une Juive sans culture, ramassée un matin sur la place publique, qui a le plus noblement incarné les royales créations des poètes du grand siècle.

Quant aux sciences mathématiques, aux sciences physiques ou naturelles, nul ne contestera que la postérité de Jacob est bien douée pour elles. Par là encore se montre l’aptitude du Juif pour notre civilisation. Dans ce domaine, la faculté peut-être la plus fréquemment développée chez lui, c’est la faculté mathématique. « Ces Juifs ont souvent la bosse des mathématiques, comme ils ont celle de la musique, » me disait un professeur. On sait, du reste, qu’il n’est pas rare que les deux « bosses » se rencontrent sur la même tête. Cette race, en apparence absorbée dans la recherche du concret et des biens matériels, a, depuis la dispersion, toujours montré du goût pour les sciences abstraites, pour la géométrie et l’astronomie, comme pour la philosophie. Cela s’explique par l’histoire, par l’antiquité de la culture, par les professions des ancêtres, peut-être aussi par les besoins de la religion. Israël n’est pas cependant le seul sémite qui ait eu du penchant pour la métaphysique ou pour les mathématiques. L’on sait que les Arabes n’en faisaient pas fi, et que l’astronomie a été fondée par les Chaldéens. C’est à Babylone, sur les gradins des pyramides à degrés, que les Juifs ont appris les rudimens de l’astronomie. Les rabbins s’en servaient pour fixer les fêtes de leur calendrier, et la science du ciel a sa place dans le Talmud. Est-ce pour cela que, de Herschel au frère de Meyerbeer, W. Beer, l’astronome de Berlin, les coupoles des observatoires ont abrité nombre de Juifs ? En France, où ils sont à peine deux ou trois pour mille, on n’a qu’à prendre les annuaires de l’Académie des Sciences, on y découvre côte à côte plusieurs Israélites. Halphen, par exemple, passait pour un des premiers mathématiciens de notre temps. Un détail encore : plusieurs des plus célèbres joueurs d’échecs des deux mondes étaient Juifs. N’est-ce pas toujours que l’esprit de combinaison et de calcul a été développé chez eux par l’hérédité ? Peut-être même sont-ils, plus que d’autres, enclins à faire abus de l’esprit mathématique et de la méthode déductive ; ainsi Spinoza dans la philosophie, Ricardo dans l’économie politique, Marx dans le paradoxe socialiste[1].

  1. Pour ne pas sembler trop incomplet, il faudrait signaler le grand nombre de Juifs qui se sont distingués dans la médecine et la physiologie, en Allemagne surtout. M. C. Lombroso, lui-même un Juif, en a dressé une liste, dans l’Homme de génie, si je ne me trompe. D’autres israélites se sont fait un nom dans l’enseignement du droit, ce qui se comprend d’autant mieux que le rabbin était une sorte de juriste, comme le Talmud un Corpus juris.