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pour cela, ignorer le duo de Valentine et de Raoul, et l’acte de la cathédrale dans le Prophète. Ses opéras français pourront passer de mode comme son Crociato et ses opéras italiens ; il n’en restera pas moins qu’un Juif berlinois aura donné à deux générations de chrétiens le sentiment du sublime. Certes, sa musique a vieilli ; nous en sentons aujourd’hui les taches, l’artifice. Elle nous choque par ses italianismes, par la banalité de ses formules ou la vulgarité de son instrumentation. De tous les compositeurs de son siècle, Meyerbeer n’en a pas moins été le plus dramatique. On peut railler, avec Wagner, l’opéra historique, trouver que c’est un genre faux, bâtard ; on est libre de préférer le drame lyrique et les symboliques légendes. Cela n’empêche que cet opéra historique a régné sur les deux mondes, et que Meyerbeer en a marqué l’apogée. Juif ou chrétien, c’est assez pour la gloire d’un artiste.

Ainsi donc, qu’on leur concède ou qu’on leur refuse la spontanéité de l’art, l’imagination, la force créatrice, il est manifeste qu’il n’y a plus, chez les enfans d’Israël, de génie national. Il y a seulement des facultés qui se rencontrent plus souvent chez les Juifs que chez d’autres : l’esprit de combinaison, le don d’adaptation, l’art d’associer des élémens divers, l’aptitude à comprendre des génies nationaux différens[1]. Au fond, cela se ramène toujours à ce que nous avons appelé la faculté maîtresse du Juif, à sa capacité d’assimilation. En dehors de cette flexibilité, de cette élasticité intellectuelle, je ne sais trop s’il reste à ses artistes ou à ses écrivains quelque chose de spécialement juif. Vous noterez bien, chez eux, deux ou trois traits ; encore sont-ils loin d’être communs à tous. C’est ainsi que nous nous figurons parfois reconnaître en eux quelque chose d’oriental. Je leur saurais gré, quant à moi, de nous apporter sous notre ciel brumeux un rayon du ciel d’Orient. Mais ce reflet d’Orient, que nous croyons apercevoir dans la prunelle de leurs filles, beaucoup des fils de Jacob l’ont-ils dans l’âme ? Alors même que leur imagination nous paraît avoir une teinte orientale, est-ce bien là un fait d’atavisme, un obscur souvenir de Sion et du Carmel transmis à travers les migrations séculaires ? — « Ce que vous prenez chez nous pour un trait de race, me disait à ce propos un Israélite, n’est le plus souvent que l’empreinte de l’éducation ; les livres y ont plus de part que le sang. Nous nous sommes si longtemps tournés vers les collines de

  1. De là peut-être le succès des Juifs comme exécutans et interprètes de la musique d’autrui. À cet égard, aucun pianiste peut-être n’a égalé Antoine Rubinstein. À Bayreuth même, la direction de Parsifal est réservée à un artiste d’origine juive, M. Hermann Lévy. Le célèbre violoniste allemand, J. Joachim, est également d’Israël comme l’était la grande cantatrice Pauline Lucca. À rapprocher de ces musiciens les acteurs juifs.