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n’a égalé l’école réaliste. Elle apportait sa part de vérité, beaucoup moindre qu’elle ne croyait, considérable pourtant et qui a produit son action utile. Nous sommes maintenant assez éloignés des origines du débat pour rechercher avec une impartialité suffisante en quoi elle méritait de réussir, en quoi elle devait échouer et ce qu’il reste, somme toute, de ses efforts. Les Salons de Castagnary viennent de paraître ; c’est une occasion d’étudier à leur sujet le mouvement artistique dont il fut le héraut. En s’appliquant au défenseur le plus franc et le plus hardi du réalisme, cette étude permettra d’apprécier, outre une part importante de l’art dans la seconde moitié du siècle, les procédés de la critique durant la même période. Castagnary était, je crois, le contraire d’un esprit juste, mais c’était un homme de bonne foi et un écrivain de talent ; avec lui, la démonstration sera d’autant plus facile qu’il pensait ce qu’il disait, et qu’il le disait avec agrément.

Toutefois, il n’est pas seul de son espèce, et il faut le replacer dans un groupe, si l’on veut l’apprécier à sa valeur. Thoré et Proudhon ont soutenu la même cause : Thoré, avec un sens artistique plus fin et une instruction plus solide ; Proudhon, avec la supériorité d’une puissante intelligence et cette outrance dans la logique paradoxale, qui, en grossissant tout, rend un grand service au débat. Si, des trois, Castagnary éveille à cette heure le souvenir le plus net comme critique d’art, c’est peut-être parce qu’il est mort le dernier. Il faut considérer aussi que, malgré ses opinions républicaines, la critique de Thoré n’a point profité de sa politique, car il a servi son parti dans une période de défaite et il est mort avant la revanche ; de plus, critique de transition, d’abord romantique, puis réaliste, il finit par combattre ce qu’il avait défendu et affirmer ce qu’il avait nié. Proudhon, lui, fut surtout un économiste et la critique d’art un court épisode dans sa carrière ; il ne s’en inquiéta que par occasion et pour rattacher l’art à un système social. Castagnary, au contraire, publiciste politique comme Thoré, est arrivé au pouvoir avec ses amis ; il a donc recueilli les avantages qui suivent toujours la victoire, même au point de vue de la simple renommée ; réaliste d’instinct, il l’a été du premier jour et jusqu’au bout ; près de Courbet, le chef de l’école, il a rempli le rôle de secrétaire et de conseil ; pour le public actuel, la peinture réaliste, c’est Gourbet ; la critique réaliste, c’est Castagnary. Cependant, comme le rôle de la critique sans épithète n’est pas de suivre les opinions consacrées, mais plutôt de les examiner pour les rectifier, il importe de rendre à Thoré et à Proudhon ce qui leur est dû. Enfin, un des grands esprits du siècle, M. H. Taine, peut être considéré comme le théoricien suprême de l’école réaliste. Il y a quelques années, il réunissait sous le titre