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seul maître désigné pour recevoir un élève tel que Michel-Ange, s’était fixé à Venise depuis plusieurs années et qu’il mourut précisément en 1488, Ghirlandajo, quel que fût son talent, n’était pas un de ces esprits suggestifs qui, à l’instar de Verrocchio ou de Pollajuolo, en creusant l’une ou l’autre des faces de la technique, pouvaient espérer de renouveler l’art. On admire la fierté ou la précision de ses lignes, la netteté de sa caractéristique, mais on chercherait en vain chez lui quelque principe fécond, quelque vue supérieure.

Le contrat conclu le 1er avril 1488 avec Ghirlandajo et avec son frère David (ils étaient associés) portait une clause singulière et qui témoignait, soit de la valeur précoce de Michel-Ange, soit de l’avidité de son père : les Ghirlandajo, au rebours de toutes les habitudes reçues, consentaient à rétribuer leur élève, à raison de 6 florins (environ 300 francs), pour la première année, de 8 pour la seconde, de 10 pour la troisième. Michel-Ange avait quatorze ans quand il entra dans leur atelier. Il n’était donc plus un débutant, mais déjà presque un maître.

L’éducation première de Michel-Ange n’a jamais fait l’objet d’une étude développée. J’ai le devoir d’insister sur cette période, trop peu connue, de son développement artistique. Je constaterai tout d’abord que les influences du dehors ont peu de prise sur des génies aussi fermes. Malgré la diversité des productions qui le composent, l’œuvre de Michel-Ange est un, depuis ses premiers essais à Florence jusqu’aux figures que peignait ou que modelait à Rome sa main déjà à moitié glacée. On a beau chercher : impossible de distinguer par exemple, comme chez Raphaël, une période florentine et une période romaine, pour ne point parler d’une période ombrienne. Tout au plus, découvre-t-on des différences dans le mérite des ouvrages appartenant aux différentes étapes de sa longue existence : quant à leur caractère intrinsèque, il ne varie pas. C’est par là que Michel-Ange, suprême représentant de la conviction et de la volonté, se rapproche du sublime fantaisiste qui s’appelle Léonard de Vinci. C’est que tous deux ont apporté leur idéal avec eux en venant au monde, tandis que Raphaël n’a que graduellement élaboré le sien en s’inspirant des modèles qui l’entouraient. Michel-Ange a fort bien saisi ce trait du génie de son jeune rival en déclarant que Raphaël ne tenait pas sa supériorité de la nature, mais de l’étude.

Je n’irai cependant pas jusqu’à dire, avec M. Klaczko, dans son essai si attachant et si suggestif[1], que Michel-Ange apparaît solitaire

  1. Causeries florentines. Dante et Michel-Ange. Paris, 1880.