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et hautain, sans lien de parenté avec l’école de son temps, sans filiation avec celle du passé. Il m’est difficile de croire à de tels cas de génération spontanée. On verra tout à l’heure que Michel-Ange n’a nullement dédaigné de s’inspirer de l’œuvre de ses prédécesseurs ; je me hâte d’ajouter qu’en recherchant les affinités entre son style et celui des Donatello ou des Jacopo della Quercia, je ne cède pas à la pensée de rabaisser un colosse qui est au-dessus de toute atteinte. Je voudrais plutôt montrer par quels liens il se rattache à son époque, et qu’à son insu peut-être il a repris des traditions que l’on pouvait croire interrompues.

Les premiers modèles étudiés par le débutant furent ceux devant lesquels se formait alors toute la jeunesse artiste de Florence, d’une parties marbres antiques réunis dans le jardin des Médicis, de l’autre les fresques de Masaccio au Carmine. Ce fut pendant une séance faite dans cette chapelle que l’adolescent reçut d’un de ses condisciples, le sculpteur Torrigiano, le coup de poing qui lui brisa le nez et le défigura pour la vie : « Quand nous étions jeunes, — C’est ainsi que Torrigiano lui-même raconta son odieux exploit à Benvenuto Cellini, — Buonarroti et moi allions travailler à l’église del Carmine, d’après la chapelle du Masaccio, et comme Buonarroti avait l’habitude de persifler tous ceux qui dessinaient, un jour entre autres qu’il m’ennuyait, je me mis plus en colère que de coutume et fermant la main, je lui donnai un si grand coup de poing sur le nez, que je sentis sous mon poing l’os et le cartilage s’écraser comme si ce fût une oublie, et, tant qu’il vivra, il en restera ainsi marqué. »

Si le style, la manière, de Michel-Ange étaient dès lors nettement arrêtés, en revanche ses convictions avaient encore quelque chose de flottant. Nous le voyons par la diversité de ses études : c’est ainsi qu’il s’amusa à copier en peinture une estampe du peintre-graveur alsacien Martin Schoen, la Tentation de saint Antoine, ouvrage absolument placé en dehors du cercle de ses préoccupations ; car, que pouvait-il y avoir de commun entre ce jeune génie, amoureux de formes pleines et amples, et les figures maigres, tourmentées, frisant presque la caricature, du brave maître de Colmar ?

D’autres modèles fixaient dès lors l’attention de Michel-Ange. Parmi les morts, c’était tout d’abord Donatello, dont l’enseignement continuait de vivre, soit dans les nombreux ouvrages dont il avait orné Florence, soit dans la tradition qu’avaient recueillie plusieurs de ses élèves, entre autres Bertoldo, qui toutefois sacrifiaient de plus en plus au maniérisme. Michel-Ange ne pouvait manquer de subir la fascination de ce puissant génie, que tant de