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paroissiales n’entendaient, autrefois comme aujourd’hui, que la langue vulgaire. Un prédicateur discourant en latin dans la chaire élégante de Sainte-Clotilde ou de la Madeleine perdrait son temps, il faut le craindre ; les fidèles de Sainte-Clotilde et de la Madeleine sont cependant bien plus instruits que les grossières congrégations du temps de saint Bernard et de saint Louis. Si tous les sermons latins du moyen âge avaient été prêches devant des moines, des ecclésiastiques ou des écoliers, nous ne serions pas si surpris, car il serait tout naturel que des clercs se soient exhortés en chaire, les uns les autres, dans la langue de leur profession. Mais parmi les harangues que nous avons, beaucoup sont visiblement adressées à des gens du peuple, à des foules simples et ignorantes. On se demande, non sans quelque inquiétude, si elles ont été prononcées telles qu’elles nous ont été transmises par écrit.

La plupart des sermons latins à l’usage des laïques sont entrelardés de mots, de proverbes, ou même de phrases en langue vulgaire. Ils sont rédigés, comme l’on dit, en latin macaronique. D’une particularité si bizarre, trois éditeurs successifs de l’Histoire littéraire de la France, MM. Daunou, Victor Le Clerc et Hauréau, ont conclu que l’on prêchait jadis en style farci, mi-latin, mi-français : « En mêlant du français à leur latin, disent-ils, les orateurs voulaient sans doute se faire mieux comprendre, tout en conservant leur decorum de lettrés. » Cela ne revient-il pas à dire que les prédicateurs se seraient résignés, par decorum, à jouer avec les fidèles aux propos interrompus ? Un phare à feux intermittens, qui projette par saccades des éclairs dans la nuit, voilà, en effet, l’image d’un sermon macaronique, dont les mots seraient tour à tour intelligibles et inconnus. Que pareille combinaison ait jamais été en honneur, c’est ce que personne ne croira que sur de bonnes preuves. Mais il n’est pas nécessaire de le croire : les progrès de la science, loin de justifier l’hypothèse invraisemblable de l’Histoire littéraire, l’ont, au contraire, complètement ruinée. MM. Lecoy de La Marche et Bourgain ont en effet prouvé que tous les discours prononcés, au moyen âge, devant le peuple, l’ont été, comme on ne saurait se défendre de le supposer a priori, dans la langue du peuple. Les recueils manuscrits les offrent, à la vérité, en latin, mais c’est qu’ils ont été transposés de l’idiome vulgaire dans l’idiome savant. L’usage de publier en latin des sermons composés et récités en langue laïque a toujours été de tradition dans l’Église. Le père de Lingendes et le père Giry, sous Louis XIV, agissaient encore ainsi, « parce que le latin abrège plus que le français » et parce que les collections parénétiques, destinées à servir de modèles à des clercs de tous les pays, devaient être rédigées dans la