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l’évêque s’est en effet gardé de la suivre : au lieu d’orner de colifichets littéraires ses modèles d’exhortations aux fidèles, il les a sagement illustrés d’exemples, de proverbes et de comparaisons. Il a inauguré de la sorte un genre qui, pratiqué certainement de toute antiquité, n’était pas jusque-là représenté dans la littérature écrite, celui de la causerie familière, aisée et sans apprêt, qui risque malheureusement de dégénérer, dans certaines bouches, en trivialités choquantes. La prédication populaire, à l’usage des laïques, qui fut si florissante au XIIIe siècle, remonte à Maurice de Sulli, comme la prédication scolastique, à l’usage des clercs, remonte à Pierre le Mangeur. — Observons enfin que le recueil des « thèmes » de Maurice de Sulli est, avec la Summa de arte predicandi d’Alain de Lille (qui contient, après quelques conseils généraux, une collection d’esquisses de sermons sur les sujets les plus ordinaires), le plus ancien manuel d’éloquence sacrée, c’est-à-dire le plus ancien spécimen d’une littérature qui ne devait pas tarder, comme nous le verrons, à encombrer le marché de la librairie. — Presque tous les sermonnaires du siècle de Louis IX se rattachent à l’un ou à l’autre des types ébauchés en Pierre le Mangeur et en Maurice de Sulli. Les derniers imitateurs de saint Bernard durent comprendre très vite que la fortune allait à ces nouveaux-venus et que la vieille rhétorique avait vécu. Ont-ils eu tort de la regretter ? Nous ne le croyons pas. Elle avait de grands mérites, le respect de sa dignité et le respect du style. Ses défauts, tels que l’abus des tropologies imaginaires ou « moralités, » jeux d’esprit trop souvent doublés de jeux de mots, sont surtout fâcheux chez les sots qui les ont lourdement accentués. Bossuet, qui n’eut jamais de commerce avec les prédicateurs d’école et de carrefour du XIIIe siècle, a cité saint Bernard, les Victorins, Amédée de Lausanne ; il avait lu Raoul Ardent ; il a imité Geoffroi d’Auxerre. N’est-ce pas là le plus bel éloge de ces maîtres archaïques que des mains pieuses ont enfin vengés récemment des injures du temps ?


III

L’éloquence sacrée du XIIIe siècle n’est point, comme celle du XIIe, une rivière limpide qui roule des eaux pareilles, d’un bout à l’autre de son cours ; on y distingue à première vue trois courans de couleur et d’intensité différente.

D’abord la tradition de la période précédente se conserva, bien qu’affaiblie de jour en jour, surtout parmi les membres de certains ordres anciens, Cîteaux, Prémontré, Saint-Victor, le Val des Écoliers, etc. Ces ordres adhérèrent alors d’autant plus étroitement aux souvenirs de leur passé, qu’ils voyaient prospérer davantage