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Demailly l’amoureux. Aussi bien, nous ne voyons rien ou presque rien dans cette pièce, dans ces pièces plutôt, qui sont des abrégés de livres et comme des tables de matières ; on nous montre des effets, on nous livre des résultats, sans jamais nous informer des précédens, ni des causes. Poser des jalons n’est pas faire une route, et des échantillons ne sauraient tenir lieu de tapisserie. Qu’arrive-t-il alors ? Qu’une œuvre comme celle-ci, très simple, très claire même par les faits, paraît obscure et presque inintelligible par les sentimens et les caractères. On suit les personnages comme des nageurs qui plongent ; ici, là, suivant leur caprice et sans que nulle part notre œil puisse les deviner ou les attendre, ils reparaissent à la surface et montrent la tête, mais le plus souvent ils demeurent sous l’eau.

L’héroïne autant que le héros nous échappe. Au premier acte, c’est une délicieuse ingénue ; au second, une poupée ; une perruche au troisième ; au quatrième, un monstre. Comme les autres, ce caractère nous est servi par tranches et procède par soubresauts. Pourquoi Marthe se sent-elle attirée vers ce « vilain singe » de Nachette ? D’où vient en elle, au quatrième acte, cette explosion de férocité, cette cruauté atroce ? Cabotine, direz-vous. Mais c’est bien tôt, c’est trop tôt dit ; il en fallait dire davantage. Pourquoi encore, pourquoi enfin… Mais je ne cesserais de demander des pourquoi à cette pièce qui ne répond à aucun. C’est au roman sans doute qu’il faut m’adresser.

L’interprétation est supérieure au drame. M. Raphaël Duflos, que je n’avais guère aimé d’abord, a montré dans le dernier acte beaucoup de puissance et de sobriété. Mme Sizos, qui joue le rôle de Marthe, y est aussi heureusement servie par ses défauts que par ses qualités, et je n’aurais qu’à louer M. Nertann, M. Colombey et M. Hirch, qui représente sans mot dire un Brésilien dont l’opérette ne voudrait plus.

Le Vaudeville a donné, une seule fois et en matinée, une très charmante pièce, qui plus que beaucoup d’autres mériterait les honneurs du soir, de nombreux soirs. Il est juste de la louer avant et au besoin afin qu’elle les obtienne. Je n’avais pas médiocrement goûté, l’année dernière, les Jobards, de MM. Denier et Guinon ; j’aime encore mieux aujourd’hui Gens de bien, de M. Denier tout seul.

Ces gens de bien ont un fils unique et vont le marier. Quelques jours avant le mariage, le jeune homme se voit dans la nécessité d’avouer à ses parens qu’il a pour maîtresse une pauvre ouvrière, et de cette maîtresse un enfant. Feront-ils épouser à leur fils sa maîtresse ou le laisseront-ils épouser sa fiancée ? Sa maîtresse, déciderait tout de suite M. Alexandre Dumas fils ; il l’a dit plus d’une fois et très haut ; sa fiancée, décide au contraire M. Maurice Denier, non pas tout de suite, mais après nous avoir montré chez les parens, des répugnances, des scrupules, des vicissitudes morales, enfin une évolution